Chronique / Stratégie de Lisbonne, une décennie perdue pour l'emploi

12/01/2010 - 11:00 - Option Finance

(AOF / Funds) - Il y a presque dix ans déjà, en 2000, se réunissait à Lisbonne le Conseil européen qui décidait de faire de l'Europe d'ici à 2010 "l'économie la plus compétitive et la plus dynamique du monde, capable d'une croissance économique durable, accompagnée d'une amélioration quantitative et qualitative de l'emploi, d'une plus grande cohésion sociale dans le respect de l'environnement". Aujourd'hui, à l'aube de cette échéance, nous savons que l'objectif ne sera malheureusement pas atteint. Cette ambition est rendue d'autant plus difficile que l'Europe fait face aujourd'hui à l'une des crises économiques les plus sévères depuis la Seconde Guerre mondiale.

Les objectifs de la stratégie de Lisbonne

L'objectif de la stratégie de Lisbonne était de parvenir au plein-emploi en 2010. Elle prévoyait ainsi, d'un point de vue quantitatif, d'augmenter le taux d'emploi à 70 %, celui des femmes à 60 % et celui des plus âgés à 50 %.

Bilan du volet emploi

Au cours de la période récente d'avant-crise, des progrès ont été réalisés en matière de politique de l'emploi : le chômage a considérablement baissé et le taux d'emploi a fortement augmenté. Le fonctionnement du marché du travail s'est également amélioré dans de nombreux pays suite aux réformes mises en oeuvre. Soulignons que, lors de la phase de forte croissance d'avant-crise, le marché du travail a été très dynamique : de 2005 à 2008, l'Union européenne a créé plus de 11 millions d'emplois, dont 7,6 millions pour l'Union monétaire. Ainsi, le taux de chômage est tombé à pratiquement 7 % de la population active en 2008, soit un recul de plus de 2 points depuis 2005. Dans le même temps, le taux d'emploi a progressé et atteint presque l'objectif fixé de 70 % (67 % pour l'UE, mais seulement 66 % pour la zone euro), porté par la montée du taux d'activité des femmes, qui a progressé de 7 points depuis 2000 en zone euro (de 6 points pour l'UE).

Les problèmes structurels persistent

Parmi les problèmes structurels spécifiques bien connus du marché du travail en Europe, on trouve la faiblesse du taux d'activité des plus âgés et le niveau élevé du taux de chômage des jeunes. Concernant le premier point, la participation des plus âgés a progressé, atteignant presque l'objectif de Lisbonne de 50 %. En 2000, seulement quatre pays enregistraient un taux de participation de plus de 50% ; en 2008, ils sont désormais douze, avec de fortes progressions pour l'Allemagne, les Pays-Bas, la Slovaquie, la Finlande et l'Autriche au sein de l'UEM et la Bulgarie, la Lettonie, la Lituanie et l'Estonie dans l'UE. Concernant le taux de chômage des plus jeunes (les moins de 25 ans), peu de progrès ont été accomplis. Malgré un recul, le taux de chômage des jeunes reste deux fois plus élevé que celui de l'ensemble de la population. L'objectif de porter la formation continue des adultes à 12,5 % n'a pas non plus été atteint, puisque le taux est de seulement 9,7 %, tandis que celui de voir 85 % des jeunes de 20-24 ans terminer l'enseignement secondaire n'atteint que 78,1 %.

La stratégie de Lisbonne à l'épreuve de la crise

Sans négliger les réformes effectuées dans les pays européens, il est évident que la force du marché du travail, en Espagne ou en Irlande, par exemple, n'avait pas un caractère soutenable, et ce malgré l'amélioration de la participation de certaines catégories, notamment des femmes. La récession induite par la crise n'a pas des conséquences uniquement cycliques, mais également structurelles. D'après les dernières prévisions de la Commission publiées en novembre dernier, l'emploi devrait chuter de plus de 2 % en 2009 et encore de 1,3 % en 2010. Le taux d'emploi va donc se détériorer. On assiste d'ores et déjà depuis 2008 à une remontée massive des taux de chômage en Irlande et en Espagne. Aujourd'hui, les mesures temporaires de chômage partiel contribuent à préserver les emplois. Toutefois, même au coeur de la crise actuelle, des postes restent à pourvoir en raison de l'inadéquation entre les compétences disponibles et les besoins du marché du travail. Cette inadéquation risque en outre d'augmenter du fait des ajustements massifs de certains secteurs surdimensionnés (construction, banques) et pose la question de la mobilité intracommunautaire et de la conservation des prestations chômage. L'impact sur la croissance potentielle de la zone pourrait ainsi se révéler durable. La reprise en cours devrait apporter une embellie cyclique sur l'emploi, mais les obstacles structurels semblent resurgir, notamment par la mise en cause des modèles de croissance de certains pays (Irlande, Espagne). Revenir sur la voie de la stratégie de Lisbonne est un impératif. Au sortir de la crise, avec des finances publiques chancelantes, les années à venir seront pour l'Europe un nouveau test pour démontrer sa capacité à la réalisation de ses ambitions.