Interview / Luc Vlaminck (trésorier groupe, REMY COINTREAU)

22/11/2010 - 10:48 - Option Finance

(AOF) - Avec plus des deux tiers de son activité hors zone euro, le groupe Rémy Cointreau est exposé à un risque de change significatif. Celui-ci est géré par le biais de couvertures à dominante optionnelle par la trésorerie groupe, placée sous la responsabilité de Luc Vlaminck. La migration sur Swiftnet constitue par ailleurs l'un des chantiers prioritaires du groupe. Luc Vlaminck travaille dans le domaine de la trésorerie d'entreprise depuis plus de 25 ans. Après une formation comptable et une spécialisation dans les marchés financiers internationaux, il a commencé sa carrière chez Swift, où il a occupé diverses fonctions avant de travailler au département trésorerie. Il a ensuite intégré le groupe chimique et pharmaceutique belge UCB en tant que trésorier européen, avant d'être nommé, sept ans plus tard, directeur de la trésorerie européenne du groupe américain Ingram Micro, un distributeur informatique. Il y a quatre ans, il a rejoint Rémy Cointreau en tant que trésorier groupe.

Comment est organisée la trésorerie chez Rémy Cointreau ?

Luc Vlaminck : Au sein de la direction financière, notre cellule de trésorerie est composée de huit personnes, organisée de manière classique en front, middle et back-office, incluant un credit-manager. Notre modèle est hypercentralisé puisque tous les risques financiers sont concentrés au sein de la trésorerie : les risques de liquidité, de financement de marché, de taux et de change, et depuis avril 2009, nous avons également inclus les risques clients. Au début de l'exercice fiscal 2009-2010, nous avons décidé de redevenir maîtres à 100 % de notre réseau de distribution, auparavant externalisé au travers de la joint-venture de distribution Maxxium, que le groupe avait créé en 1999 avec deux autres partenaires. Face à un risque client immédiat, nous avons rapidement ressenti la nécessité de recréer cette cellule de credit management. En ce qui concerne la gestion de nos liquidités, nous avons des cash-poolings en place qui nous permettent de rapatrier les fonds le plus rapidement possible en un point central. Nous restons néanmoins soumis, dans certains pays, à des barrières locales à la libre circulation des fonds. En Chine notamment, les procédures restent relativement lourdes à suivre pour pouvoir sortir du cash. Nous espérons que ces contraintes se lèveront progressivement.

Vous réalisez plus de 70 % de votre chiffre d'affaires hors zone euro. Comment gérez-vous votre risque de change ?

En fait, la répartition de notre activité est très équilibrée entre les trois grandes régions du monde - les Etats-Unis, l'Europe et l'Asie - qui représentent chacune un tiers du chiffre d'affaires. Dans la plupart des pays d'Asie, la facturation est effectuée en dollars ou en monnaies liées au dollar. De ce fait nous gérons notre exposition aux devises asiatiques comme un risque dollar, qui constitue notre plus grosse exposition, même si nous sommes également exposés, dans une moindre mesure, au yen, au dollar canadien, à la livre sterling et à quelques devises spécifiques, notamment en Europe (couronne tchèque, monnaies scandinaves). La stratégie du groupe consiste à se couvrir sur un horizon compris entre 12 et 24 mois à l'avance, avec une préférence pour les couvertures de type optionnelles, qui nous donnent la possibilité, en cours d'exercice, d'optimiser nos couvertures en fonction des évolutions du marché.

Quelle proportion représentent les produits optionnels ?

De manière générale, ils représentent au minimum 50 % des produits que nous utilisons au global. Mais cette proportion peut monter jusqu'à 100 % en fonction de l'évolution du marché, des prix et des devises traitées. Certaines devises, comme par exemple le dollar australien ou néo-zélandais, affichent un coût de couverture optionnel relativement élevé sur des horizons longs. Compte tenu des différentiels de taux d'intérêt actuels et de la volatilité parfois élevée de ces devises, le prix des options peut devenir exorbitant. Dans ce cas, nous aurons tendance à panacher des couvertures fermes et optionnelles et à privilégier davantage l'achat ou la vente à terme. Nous recourons généralement à des options classiques et parfois à des options plus structurées, de type "tunnel" ou à ses variantes, qui nous permettent de diminuer le coût de la couverture en sacrifiant une partie du gain potentiel. Mais naturellement, notre objectif n'est pas de faire de la spéculation, mais bien de limiter notre risque de change.

La volatilité actuelle des changes complique-t-elle votre gestion des risques ?

Nous sommes maintenant habitués depuis longtemps à une forte volatilité sur le dollar. Nous avons appris à le gérer et privilégions une approche très prudente. Nos couvertures, à dominante optionnelle, nous donnent une certaine flexibilité en cours d'année. Nous avons une bonne idée de ce que sera notre cours "au pire", sur la base des couvertures prises à l'avance. Les couvertures résiduelles prises en fonction de l'évolution du marché ne peuvent que l'améliorer. Cette année n'aura donc pas été plus compliquée en matière de gestion du risque de change. Si le niveau de volatilité actuel peut étonner, je ne suis pas surpris par les pressions politiques que subissent l'euro-dollar ou bien un autre cours qui nous intéresse particulièrement, celui du dollar-renminbi. Les fluctuations de ces devises sont désormais en grande partie liées à des décisions ou à des pressions politiques, et non aux fondamentaux économiques qui devraient seuls prévaloir.

Que pensez-vous du projet de réglementation des produits dérivés présenté dernièrement par la Commission européenne ?

En tant que vice-président de l'Ateb, l'association des trésoriers d'entreprise en Belgique, ma position est très claire. Nous sommes de fervents défenseurs de "l'exception corporate". Nous avons tout mis en oeuvre pour que les autorités européennes fassent la part des choses entre, d'une part les entreprises qui couvrent leurs risques opérationnels, et d'autre part l'activité de trading des salles de marché bancaires. Une première bataille a été gagnée, puisque les entreprises ne seraient pas soumises à l'appel de marge sur leurs opérations de couverture. Nous sommes globalement satisfaits du projet car il reflète l'esprit dans lequel les entreprises veulent s'inscrire. Néanmoins il doit encore passer plusieurs échelons de validation, notamment au Parlement. Les autorités européennes semblent avoir compris que les entreprises n'avaient pas la même approche que les institutions financières et qu'une réglementation similaire serait pénalisante pour elles. Cela risquerait en effet de peser lourdement sur leurs liquidités dans le cadre des appels de marge, qui interviennent en cas d'évolution défavorable du marché. Elles pourraient par ailleurs considérer que leur coût de couverture est devenu trop cher et ainsi décider de ne plus se couvrir. Un choix qui risquerait de générer une volatilité dans les comptes de résultat des entreprises, ce qui à mon sens, n'est pas souhaitable car elle serait induite par un facteur externe, complètement indépendant de l'activité opérationnelle de l'entreprise.

La crise vous a-t-elle conduit à optimiser votre gestion du cash ?

C'est une démarche que nous avions déjà entamée avant la crise, et qui est liée à un facteur interne, à savoir la sortie de la joint-venture Maxxium dans le courant de l'année 2008. Cette sortie s'est accompagnée du paiement d'une pénalité relativement importante, susceptible de peser sur notre dette. Il nous a semblé opportun à ce moment-là de chercher à améliorer la collecte du cash pour diminuer cette pression sur la dette. Cela s'est traduit en interne par la mise en oeuvre d'un programme de prévisions de cash plus pointues. Nos prévisions de trésorerie sont passées d'une base mensuelle à une base hebdomadaire, voire quotidienne pour les dates de clôture importantes, incluant un reporting ad hoc de chaque filiale. Compte tenu des bénéfices retirés par ce process, nous avons considéré qu'il s'agissait d'une bonne pratique à conserver, en l'adaptant toutefois afin d'éviter une lourdeur administrative trop importante au niveau des différentes entités du groupe. Nous avons donc maintenu un reporting hebdomadaire des prévisions de trésorerie de chaque filiale, sur un horizon de 2 à 2,5 mois.

Avez-vous mis en place un suivi particulier de votre risque de contrepartie ?

Outre le suivi du rating des banques, nous nous attachons à répartir de manière équilibrée les transactions avec nos différents partenaires bancaires. Cela leur permet de réaliser du side-business en adéquation avec les lignes de crédit qu'ils mettent à notre disposition, et de notre côté de morceler notre risque de contrepartie. Nous avons mis en place il y a trois ans un reporting complet sur chacune de nos banques, qui précise le nombre de cotations demandées, le nombre de cotations emportées, et la proportion de transactions qu'elles réalisent avec nous.

Quelle est votre stratégie de financement ?

Le groupe, structurellement endetté, met en oeuvre une gestion pro-active de ses financements. A titre d'illustration, l'été dernier, nous avons procédé au rachat de notre emprunt obligataire 2012 et avons réalisé une nouvelle émission pour un montant de 205 millions à échéance décembre 2016. En parallèle, nous avons également lancé un placement privé de 140 millions à cinq ans avec un taux fixe de 3,6675 %, soit des conditions favorables au regard de notre notation BB-. L'objectif de ces opérations était d'une part de désynchroniser nos échéances de dette, très concentrées sur l'année 2012, et d'autre part, de pourvoir aux besoins de financement du groupe dans le cadre de sa stratégie de développement à long terme. Aujourd'hui, nous sommes revenus à une structure reposant davantage sur un financement de marché que sur un financement bancaire. Néanmoins, nous disposons toujours par ailleurs d'un crédit syndiqué de 500 millions d'euros, sur lequel nous tirons entre 100 et 250 millions d'euros en fonction des besoins saisonniers.

Comment gérez-vous votre risque de taux ?

Ce risque est très lié à la structure de notre dette, qui est plutôt à taux fixe maintenant puisque nous sommes restés à taux fixe lors de la dernière émission obligataire et du placement privé. Nous avons par ailleurs mis en place des couvertures à long terme sur notre crédit syndiqué de 500 millions d'euros, à taux variable, pour profiter actuellement des taux très bas, mais en se préservant contre d'éventuelles hausses de taux importantes qui pourraient intervenir dans le futur.

Comment vous êtes-vous préparé à l'arrêt d'Etebac ?

En fait, il y a un an et demi, nous avons opté pour un nouveau système de gestion de trésorerie, plus moderne et compatible avec les évolutions techniques futures. Dans le cadre de ce projet plus global, nous avons démarré il y a un an notre migration sur Swiftnet. Nous venons de terminer un certain nombre de phases de tests avec nos principales banques. Idéalement, nous aimerions que le système soit complètement opérationnel d'ici à la fin de l'année, mais l'horizon du 1er avril 2011 semble plus réaliste. L'objectif est d'obtenir une vision globale de nos flux bancaires, quel que soit le continent ou la banque, sur une seule plateforme, tout en bénéficiant d'une certaine indépendance vis-à-vis de nos partenaires bancaires. Ce système, plus standardisé et flexible, nous permettra en effet de rééquilibrer les flux bancaires en retirant ou en incorporant de nouvelles banques dans le système de manière beaucoup plus rapide qu'auparavant.

Votre choix s'est-il directement porté sur Swiftnet ?

Si nous avons rapidement opté pour Swiftnet, nous avons en revanche hésité entre l'option Swift en dir