Quelle politique monétaire avec un pétrole à 150 dollars ? (Natixis)

04/02/2011 - 10:02 - Option Finance

(AOF / Funds) - "Jean-Claude Trichet a, au cours de la conférence de presse (de jeudi, ndlr), essayé d'atténuer l'impact que ses récents propos ont eu dans les marchés. Il a notamment suggéré que les tensions actuelles sur les prix (d'après le flash estimate, l'inflation de la zone euro de janvier serait de 2%) seront provisoires, et que la stabilité des prix (au sens de la BCE, c'est-à-dire une inflation inférieure à 2%) devrait être respectée de nouveau en fin d'année", note René Defossez de Natixis. "Le reste de ses propos, concernant notamment la distinction entre politiques monétaires conventionnelles ou non, est identique à ce qu'il disait récemment. En gros, pour l'instant, tant que les anticipations inflationnistes resteront stables, aussi longtemps qu'il n'y aura pas d'effets de second tour, la BCE ne modifiera pas ses taux. En vertu de notre scénario central, cela signifie que la BCE ne les modifiera pas avant longtemps." "Cela étant, on ne peut pas empêcher les investisseurs de s'inquiéter de la hausse continue du prix des matières premières. Différents facteurs (dont tout récemment les incertitudes politiques dans le monde arabe) ont conduit à celle du brut depuis quelques mois. Le prix du Brent dépasse désormais 101 dollars. Les autres matières premières ne sont pas en reste : les prix des métaux, des matières premières agricoles, etc... sont également sur une tendance haussière." "L'hypothèse que nous faisons ici est que ces tendances vont se poursuivre, et que le prix du brut atteindra 150 dollars quelque part l'année prochaine (ce n'est pas notre prévision, mais une hypothèse de travail). Que ferait la banque centrale dans une telle situation ? La première question qu'il faut se poser est : où serait, toutes choses restant égales par ailleurs, l'inflation totale, celle que la BCE souhaite maintenir sous 2%." "D'après nos calculs, et avec le scénario de hausse suivant, elle atteindrait au plus haut 3,5%. La limite de 2% serait donc dépassée de manière significative, la BCE devrait donc, en principe, durcir rapidement sa politique monétaire, comme l'anticipe d'ailleurs le marché (bizarrement, puisque le Brent est encore loin de ces niveaux). La deuxième question qu'il faudra toutefois se poser est : quelle sera l'ampleur des effets de second tour ? Autrement dit, dans quelle mesure ce choc se transmettra-t-il aux salaires ?" "La réponse ne sera évidemment pas la même pour chacun des pays de la zone euro : en Allemagne, le taux de chômage est au plus bas depuis 1992. En Irlande, il est quasiment au plus haut depuis à peu près la même période. Pour l'ensemble de la zone euro, il est, à 10%, au plus haut depuis 1998. Intuitivement, on peut imaginer que des formes d'indexation pourraient s'observer dans les pays où le taux de chômage est faible et vice versa. Mais la tâche de la BCE sera extrêmement compliquée : jamais la dispersion des taux de chômage dans la zone euro n'a été aussi élevée." "Si l'on raisonne en moyenne, autrement dit en tenant compte d'un taux de chômage de 10%, bien supérieur au NAIRU (8,5%, en tenant compte de sa hausse récente), il semble que le risque de passthrough soit faible. En 2008, le prix du baril de Brent avait dépassé 145 dollars, et la BCE avait, à la surprise générale, augmenté ses taux. Mais en 2008, la croissance des salaires avait tendance à accélérer. En France, par exemple, elle avait atteint 3,4% en GA, contre 1,7% aujourd'hui. En Espagne, elle culminait à plus de 5% contre 0% aujourd'hui." "Compte tenu de la situation économique anticipée dans la plupart des pays de la zone euro, le bargaining power des syndicats semble évidemment réduit à pas grand-chose. Il est donc très possible que cette hausse du prix du brut, si elle devait s'observer, n'entraînerait pratiquement aucune hausse de l'inflation sous-jacente, qu'elle ne se traduirait principalement que par une énorme ponction sur le pouvoir d'achat des ménages, ce qui déprimerait encore un peu plus l'activité." "Autrement dit, officiellement, la BCE serait en conflit d'objectif. Dans la pratique, sans passthrough au niveau européen et compte tenu du contexte, elle devrait limiter le durcissement monétaire à quelques gesticulations sans grande conséquence (retour à des adjudications pour les opérations de refinancement, etc...), surtout si la corrélation négative pétrole/dollar continue de se vérifier (si l'euro s'apprécie)." AUT/ALO