Troubles sociaux et hausse des prix alimentaires (Natixis)

04/02/2011 - 18:00 - Option Finance

(AOF / Funds) - "Les pays en développement vont devoir faire face soit à des problèmes macro-économiques soit à d'éventuels troubles sociaux, selon qu'ils tentent de ralentir l'inflation en resserrant la politique monétaire ou en mettant en place un contrôle administratif des prix. En à peine un mois, les dangers de l'inflation ont été illustrés par les bouleversements sociaux qui ont touché différents pays d'Afrique du Nord. Le plus souvent, l'origine de ces troubles était liée à la hausse des prix des denrées alimentaires", notaient les analystes de Natixis. "Après une succession d'événements météorologiques défavorables, les prix des produits agricoles augmentent depuis la mi-2011 et sont très proches de leurs plus hauts de 2008. Les prévisions de production pour la saison en cours ont été révisées à la baisse à plusieurs reprises, ce qui aggrave les tensions existantes du côté de l'offre et provoque des inquiétudes quant à l'approvisionnement alimentaire." "Au cours du S2 2010, de nombreux pays ont tenté de garantir leur approvisionnement alimentaire au moyen de différents mécanismes, au nombre desquels l'interdiction des exportations, le contrôle des prix, la réduction des taxes sur les importations, l'augmentation des importations en vue de constituer des stocks et les subventions. Après la sécheresse sévère qui a affecté la région de la mer Noire, la Russie et l'Ukraine ont décidé d'interdire les exportations de céréales, dans un premier temps jusqu'à la fin de l'année 2010, puis pendant une bonne partie de 2011." "En Inde, après une forte pénurie de sucre en 2009-2010, l'octroi de licences d'exportation a été retardé à plusieurs reprises malgré la forte hausse attendue de la récolte de sucre. La Chine a puisé dans ses réserves de produits agricoles pour approvisionner le marché domestique, tout en important du maïs, du soja et du sucre pour reconstituer ses stocks." "Depuis la fin 2010, la situation s'est encore dégradée alors que les prix agricoles continuent à augmenter, provoquant des problèmes de plus en plus aigus de hausse des prix des denrées alimentaires agricoles. Comme en Égypte et en Haïti en 2008, les troubles sociaux ont été suscités par la hausse des prix alimentaires. En Tunisie, les manifestations ont finalement provoqué la chute du régime de Ben Ali. Depuis, les troubles se sont étendus à d'autres pays d'Afrique du Nord, avec des manifestations en Algérie et au Yémen, et plus récemment, les événements dramatiques qui touchent l'Égypte." "Partout dans le monde, les gouvernements réagissent en apportant davantage de blé et d'autres produits alimentaires de base, malgré le niveau élevé des cours, contribuant ainsi à alimenter la hausse. L'Algérie, où, début janvier, la hausse des huiles alimentaires et du sucre avait suscité une vague de protestations, a accéléré ses importations de céréales. L'Algérie a acheté plus de 1 million de tonnes de blé au cours des deux dernières semaines et cherche à conclure des contrats d'importation pour sécuriser son approvisionnement en céréales. La semaine dernière, le pays a également fait part de son intention de porter ses importations de sucre à 1,6 million de tonnes." "La Libye a également acheté 100.000 tonnes de blé la semaine dernière. Le Maroc, producteur de blé, a supprimé, entre septembre et décembre 2010, les taxes à l'importation sur le blé tendre, et envisage de les réduire sur le blé dur. L'Arabie Saoudite a annoncé à la mi-janvier qu'elle souhaitait doubler ses stocks de réserve au cours des trois prochaines années, et qu'elle achèterait 2 million de tonnes de blé en 2011, quel que soit le niveau des cours, tandis que le Koweït vient de décider un plan de soutien à la population de 5 milliards de dollars destiné à subventionner l'achat des produits alimentaires jusqu'au T1-2012." "Où ce mouvement va-t-il s'arrêter ? Des signes récents suggèrent que le résultat final de ce cycle de tensions sur l'offre (niveau élevé des cours, augmentation des achats pour sécuriser l'approvisionnement alimentaire, tensions accrues sur l'offre) pourrait être une nouvelle hausse à court terme des cours des produits agricoles. Alors que le niveau élevé des prix a suscité une vaste agitation sociale, encourageant de nouveaux achats à des prix encore plus extrêmes, les marchés pourraient continuer à monter pendant une partie de l'année jusqu'à atteindre des plus hauts insupportables." "Ensuite, on peut anticiper un retour progressif à la raison, à mesure que les récoltes 2011 soulageront les tensions sur les stocks mondiaux qui accompagneront une forte baisse des prix agricoles. Entre-temps, les pays qui sont les plus vulnérables à la hausse des denrées alimentaires continueront à connaître des accès d'agitation sociale." "Après les marchés agricoles et les prix des denrées alimentaires, nous pouvons observer le marché du pétrole et les prix des carburants et nous demander qui est le maillon fable ? Les pays où les prix des produits pétroliers sont les plus élevés sont ceux où les taxes sont les plus fortes : il s'agit notamment des gros importateurs que sont l'Europe, le Japon et la Corée du Sud. En Europe, où l'austérité fiscale a conduit les gouvernements à relever les taxes sur l'essence au cours des deux dernières années, les prix ont déjà atteint, voire dépassé, les plus hauts de 2008." "Alors que les conséquences fiscales de la précédente crise européenne pèsent largement sur les ménages, la hausse des prix des produits pétroliers devrait en affecter la demande, particulièrement pour l'essence et pourrait aussi peser sur la consommation globale. Dans des pays tels que le Royaume-Uni, où la hausse des taxes sur l'essence (et les autres produits) continue à être répercutée, juste au moment où la banque centrale commence à se montrer plus agressive, on peut anticiper des répercussions sociales et économiques." "Mais il serait insuffisant de s'intéresser uniquement au niveau absolu des prix. Les Etats européens bénéficient de l'augmentation des taxes au moment même où la population subit la hausse des prix. Le fardeau pétrolier, calculé par l'AIE, qui mesure le rapport du coût de la consommation pétrolière d'un pays à son PIB total, pourrait être un indicateur bien plus significatif. On constate alors que le fardeau pétrolier du Japon et de l'Allemagne est très inférieur à celui des États-Unis, tandis que les pays en développement tel que la Chine et l'Inde consomment beaucoup plus de pétrole en proportion de leur PIB que la moyenne des autres pays." "En 2008, aux États-Unis, le kilométrage parcouru avait chuté en réaction à la hausse des prix de l'essence, mais nous pensons que cette année, l'impact devrait être plus douloureusement ressenti en Chine et en Inde. Dans ces deux pays, où les prix des produits pétroliers ont été libéralisés (en réalité, seul le marché de l'essence a été à ce jour libéralisé en Inde) et assurent un niveau de marge suffisante aux raffineurs, l'essentiel de la hausse des cours du brut est désormais répercuté sur les prix payés par les consommateurs finaux." "En Chine, les prix du diesel et l'essence sont déjà supérieurs de 19% et de 22% aux plus hauts de 2008. Un ralentissement de la demande énergétique, tant en Inde qu'en Chine, est donc tout à fait probable : il pèserait sur la demande mondiale de produits pétroliers et sur la croissance économique globale. L'impact du maintien des subventions aux carburants est également important." "En Inde, les distributeurs de carburants contrôlés par l'Etat enregistrent actuellement des pertes record sur les ventes de diesel, de l'ordre de 9,23 roupies par litre. Au niveau actuel des cours, les pertes cumulées pourraient atteindre 16,5 milliards de dollars pour les trois sociétés, de sorte que l'impact de la hausse des cours se fait sentir sur les finances publiques plutôt que sur la consommation." "Les compagnies aériennes se heurtent à des tensions croissantes en termes de coûts. Pour chaque dollar de hausse sur le baril, la facture pétrolière de l'industrie mondiale aérienne augmente de 1,6 milliard de dollars. Alors que les prévisions annuelles de l'IATA tablaient sur des prix du brut de 84 dollars le baril, la hausse des cours du Brent au-dessus des 102 dollars le baril risque de pousser dans le rouge pour l'exercice 2011 les compagnies qui ne sont pas suffisamment couvertes." "Deux crises pétrolières sont survenues au cours des années 70. La première correspondait clairement à une crise de l'offre alors que la guerre du Kippour s'était traduite par une baisse de la production. La seconde crise, en 1979, trouvait son origine dans la révolution iranienne et les politiques développées dans les autres pays du Moyen-Orient, pour répondre au bouleversement qui menaçait le maintien des régimes en place. La hausse des prix du pétrole et de la manne pétrolière a permis aux Etats de l'OPEP de renforcer leur hégémonie politique en augmentant les subventions économiques et autres incitations financières au profit de la population locale." "En conséquence, les pétrodollars ont déserté les marchés financiers internationaux au profit des dépenses publiques au Moyen-Orient. La hausse des revenus et la croissance économique dans cette région s'est effectuée aux dépens d'une augmentation des taux d'intérêt sur les marchés internationaux de capitaux et d'une hausse de l'inflation résultant du niveau élevé de consommation dans de nombreux pays de l'OPEP." "Nous ne pensons pas que le scénario de 1979 puisse se répéter à l'identique, mais le fait que certains pays de l'OPEP réagissent au risque accru d'agitation sociale en multipliant les bouleversements sociaux, suggère que des mécanismes très similaires sont à l'oeuvre. Si cette tendance se poursuit on peut s'attendre à un niveau élevé de consommation et de croissance au Moyen-Orient conjugué à une hausse des taux d'intérêt partout dans le monde, et particulièrement aux États-Unis." AUT/ALO