Pétrole : un choc de l'offre se profile (Natixis)

25/02/2011 - 15:19 - Option Finance

(AOF / Funds) - "Si les troubles en Egypte ont suscité des inquiétudes quant au transport du brut, les récents événements en Lybie touchent le coeur de la production pétrolière de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep). L'an dernier, la Libye avait produit entre 1,5 et 1,6 million de barils par jour de brut et exporté un peu plus de 1 Mb/j. La Libye exporte également du gaz naturel, le gazoduc Greenstream à destination de l'Italie transportant plus de 9 milliards de mètres cube ainsi que des volumes plus modestes de GNL, exportés essentiellement vers l'Espagne", résume Natixis. La semaine dernière, nous avions désigné la Libye comme un point chaud potentiel, mentionnant son taux de chômage de 30%, ainsi que la très importante proportion des moins de 25 ans, comme deux facteurs susceptibles d'exacerber les tensions sous-jacentes." "Depuis, le pays a sombré dans une quasi guerre civile, le nombre de victimes augmentant rapidement, alors que les forces loyales au régime de Kadhafi tirent à balles réelles sur les manifestants et que des avions militaires bombardent des cibles situées dans les régions du pays qui ont échappé au contrôle du régime." "Si l'industrie pétrolière libyenne a été largement nationalisée sous le régime de Kadhafi, elle ne constitue pas une entité cohérente. La société parapluie National Oil Corporation détient plusieurs compagnies pétrolières régionales, notamment Sirte Oil Company, Waha Oil Company, Zueitina Oil Company and Arabain Gulf Oil Company (AGOCO). Ces compagnies régionales sont engagées dans des partenariats avec une grande variété de compagnies pétrolières internationales (notamment ENI, BASF, Total, Nippon, Pertamina, Petrobras, Gazprom, Exxon-Mobil, Japex, SOC, Hess, Repsol, BP et ONGC) particulièrement pour les champs offshore du golfe de Syrte, qui sont plus difficiles à exploiter d'un point de vue technique." "Alors que la situation se détériore en Lybie, de nombreuses compagnies pétrolières internationales ont arrêté la production. Lundi, BASF a suspendu sa production (qui s'éleve à 100.000 b/j). Eni, la compagnie internationale qui produit le plus en Lybie (244.000 b/j) a commencé mardi à stopper ses activités, tandis que Repsol a suspendu la production du champ de Sharara (environ 250.000 b/j). La fermeture des ports libyens a suivi, certaines informations suggérant des actes délibérés de sabotage des terminaux pétroliers et des oléoducs. " "Les livraisons de gaz naturel à l'Italie ont été arrêtées mardi en raison de la fermeture du gazoduc Greenstream qui, avec un débit journalier compris entre 24,5 et 29,7 millions de mètres cube par jour, fournit à l'Italie un huitième de sa consommation de gaz naturel. Si les stocks européens de gaz naturel ont enregistré globalement une forte chute depuis novembre, les stocks italiens restent importants, à 11,5 milliards de mètres cube, un niveau insuffisant pour compenser une baisse temporaire des livraisons, de moins de 30 millions de mètres cube par jour." "Un déficit d'approvisionnement touchant le Nord de la France ou le Royaume-Uni aurait été plus préjudiciable, compte tenu du faible niveau des stocks dans ces régions. La suspension de la production libyenne pourra-t-elle être aisément compensée à court terme ?" "Compte tenu de l'accélération des événements cette semaine, le discours des porte-parole de l'Opep a dû s'adapter rapidement. A l'occasion du Forum international de l'énergie, réuni à Riyad cette semaine, les porte-parole de l'Opep ont d'abord rassuré les marchés en indiquant que l'offre était abondante, suggérant que le niveau actuel des cours reflétait davantage les tensions politiques qu'une insuffisance de l'offre. Les ministres du Pétrole de l'Arabie Saoudite, du Qatar, des EAU, ont tous repris cette position, ce qui conforte notre opinion selon laquelle de nombreux membres de l'Opep ont déjà augmenté leur production." "Ce point de vue se trouve également confirmé par l'évolution du fret maritime. Après un plus bas de 13 mois en octobre, les taux de fret ont fortement augmenté au cours des dernières semaines, particulièrement sur les routes à destination de l'Asie, alors que les importateurs de pétrole n'avaient jamais autant réservé de tankers depuis plus de six ans." "Que se passera-t-il si la production de pétrole libyenne était suspendue pendant une période prolongée ? Le ministre saoudien du Pétrole, Ali al-Naïmi, a indiqué que son pays pourrait compenser toute réduction de l'offre internationale, et les déclarations des responsables de l'AIE cette semaine lui ont fait écho. C'est exactement ce que l'Arabie Saoudite a déjà fait dans le passé. En 1990, lorsque l'invasion du Koweït par l'Irak a perturbé la production pétrolière, il a fallu moins d'un mois à l'Arabie Saoudite pour accroître sa production de 2 Mb/j." "Selon des estimations officielles, la capacité de production saoudienne s'élève à 12,5 Mb/j, ce qui est plus que suffisant pour compenser toute réduction de la production libyenne, mais en pratique, il est peu probable que la totalité de la capacité disponible saoudienne apparente, soit 4 Mb/j, soit aisément accessible. La compagnie saoudienne Aramco a indiqué cette semaine qu'elle pouvait rapidement porter la production du champ de Khurais de 300.000 b/j à 1,5 Mb/j. Si cela représente une part importante de la capacité immédiatement disponible, il pourrait toutefois être plus difficile que les Saoudiens ne le suggèrent d'accroître la production à hauteur des 1,2 Mb/j supplémentaires nécessaires pour remplacer les exportations libyennes." "Se pose également la question de la coordination de la production supplémentaire, alors qu'il est peu probable que les Saoudiens mettent directement en vente le brut additionnel produit sur le marché spot. Le réajustement du marché pétrolier à la nouvelle donne de la production pourrait donc ne pas être immédiat." "Existe-t-il des alternatives ? Les responsables de l'AIE discutent cette semaine de la possibilité d'utiliser les réserves stratégiques de brut. S'ils privilégient dans un premier temps le recours aux capacités disponibles des membres de l'Opep, les stocks stratégiques détenus par les Etats membres de l'OCDE et les producteurs de pétrole pourraient rapidement être mis à contribution. Les stocks officiels des pays de l'OCDE, qui sont déjà élevés, ont augmenté au cours des dernières années pour dépasser les 1,3 milliard de barils, auxquels s'ajoutent les stocks de produits pétroliers, pour 253 millions de barils." "La Libye sera-t-elle le dernier domino à tomber ? La semaine dernière, nous avons tenté d'identifier quel pays étaient potentiellement les plus susceptibles de connaître une agitation sociale. La Libye était bien placée, mais elle n'était pas la seule à être sur la liste. Nous serions disposés à affirmer que les troubles se poursuivront probablement en Algérie et en Iran, mais nous pensons que les principaux pays producteurs de l'Opep que sont notamment le Koweït, les EAU, le Qatar et l'Arabie Saoudite ne devraient pas être sérieusement affectés." "De même que les exemples de la Tunisie et de l'Égypte ont encouragé les protestataires des autres pays à croire au succès d'un soulèvement, les événements en cours en Libye seront déterminants pour évaluer la probabilité de nouveaux troubles, et quelles mesures les dirigeants pensent pouvoir prendre à l'encontre de la population. L'alternative est que d'autres dirigeants prennent des initiatives pour éviter l'agitation par des réformes positives tant économiques que politiques." "Nous avons été surpris par l'absence d'initiatives, tant politiques qu'économiques, de la part des gouvernements qui peuvent se permettre d'être les plus généreux, en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. Cette semaine, le Bahreïn a commencé à libérer des prisonniers politiques, tandis que de retour en l'Arabie Saoudite cette semaine, le roi Abdullah a annoncé un plan de dépenses publique de 35 milliards de dollars, comprenant des hausses de salaires, des mesures de grâce pour les débiteurs condamnés à des peines de prison, et des aides pour les étudiants et les chômeurs. Toutes ces mesures s'ajoutent à des dépenses publiques déjà en hausse rapide au cours des dernières années." "Où vont les cours du pétrole ? Les cours du pétrole ont connu une forte hausse en réaction aux bouleversements politiques en Libye, gagnant 4 à 7% après les événements de la semaine dernière. Les cours avaient déjà atteint un niveau qui avait poussé de nombreux pays en développement à commencer à mettre en oeuvre des politiques anti-inflationnistes, et le processus atteint progressivement les pays du G3, la BCE et la banque centrale du Royaume-Uni semblant évoluer de manière perceptible vers un resserrement imminent de la politique monétaire." "Notre opinion est que les cours du pétrole étaient déjà suffisamment élevés pour détruire l'essentiel de la croissance anticipée de la demande de pétrole en 2011, et cette situation, conjuguée à la récente augmentation de la production de l'Opep devrait finalement susciter une baisse des cours aux environs des 80 dollars le baril. Depuis le début de l'année, nous avons mis en garde sur le fait que la hausse à court terme des prix aboutirait finalement à une baisse des cours, provoquée par la destruction de la demande et le resserrement de la politique monétaire." "De toute évidence, les événements de Lybie pourraient déboucher sur un choc de l'offre. Ils aggravent manifestement les risques d'une hausse des prix à court terme, mais ce faisant, ils aggravent aussi la tendance au resserrement monétaire anti-inflationniste et la destruction potentielle de la demande mondiale de produits pétroliers." "Nous maintenons notre prévision d'une flambée des cours, suivie, plus tard au cours de l'année, d'une dégringolade, comme cela s'était produit en 2008. Plus les cours grimperont en ce début d'année, plus bas ils finiront par tomber lorsque les risques pour la production de l'Opep seront éventuellement retombés. Mais à court terme, le marché devrait rester préoccupé par le risque d'une hausse des cours." AUT/ALO