Emergents : peu de pays confrontés à une vraie surchauffe (EdRAM)

28/03/2011 - 16:35 - Option Finance

(AOF / Funds) - "Les derniers mois ont été marqués par un revirement de l'opinion sur les pays émergents. Le développement de tensions sur les prix de détail y a entraîné une réaction des autorités monétaires qui sont engagées dans une normalisation de leurs politiques de taux d'intérêt et de liquidités. Inquiets des conséquences sur le rythme de croissance de politiques plus restrictives encore, les investisseurs ont préféré arbitrer au profit des marchés développés, en particulier au profit des titres d'entreprises liées à l'expansion des économies émergentes", note EdRAM. "Ces analyses et ces conclusions sont-elles justifiées ? Les taux de croissance élevés impliquent toujours un risque de tension sur les coûts et sur les prix. Mais la croissance enregistrée dans les économies émergentes entre 2009 et 2010 n'est pas appelée à se maintenir aux rythmes qu'elle a atteints, tant elle est le résultat d'un effort exceptionnel de relance (dépenses budgétaires, baisse des taux d'intérêt)." "L'élan donné a été considérable (580 milliards de dollars en Chine en novembre 2008) et ces phénomènes ont leur inertie. La relance n'est cependant plus d'actualité et cet élan ne peut que retomber. Dans l'intervalle, et c'est la source de l'incertitude aujourd'hui, il faut juger le degré de tension qui se manifestera sur les coûts comme sur les prix et la réponse des autorités monétaires." "D'un point de vue cyclique, la remontée des prix est un phénomène normal dans une phase où le risque déflationniste s'estompe. De plus, les facteurs exceptionnels n'ont pas manqué en 2010 pour pousser à la hausse les prix des matières premières (surtout industrielles et agricoles) et la récente hausse des prix du pétrole apporte une incertitude supplémentaire." "Les conditions climatiques, le rapport offre et demande physiques, les anticipations sur l'évolution du contexte monétaire mondial joueront tous leur rôle dans une situation très ouverte. Les prix des matières premières et des produits importés sont pour le moment l'origine principale des tensions sur les prix. La question majeure est celle de l'évolution des coûts internes (salaires principalement) et de leur contribution à la mise en place d'une spirale prix-salaires." "La crainte principale des banques centrales est de voir une accélération conjoncturelle se transformer en accélération structurelle où les coûts salariaux prennent le rôle principal (effet dit de second tour). Grâce aux investissements industriels étrangers, la productivité croît vite dans les économies émergentes, un facteur important dans la maîtrise des coûts unitaires salariaux. La faible valeur ajoutée de la moyenne des entreprises laisse toutefois un poids élevé aux coûts externes (matières premières)." "L'augmentation des coûts externes ne peut être compensée par la modération des autres coûts et, sauf à réduire leurs marges, les entreprises peuvent difficilement éviter de répercuter la hausse de leurs coûts dans les prix de leurs produits, propageant ainsi le phénomène. La situation varie selon les secteurs et le degré de concurrence qui y règne. Les entreprises engagées dans la première transformation sont plus exposées à des pressions sur leurs marges que celles qui ont su développer une position dominante par l'innovation, la valeur ajoutée ou une part de marché dominante." "De même, compte tenu du niveau de vie moyen, la structure de la consommation fait une large place aux produits alimentaires, le plus souvent sous la forme de produits faiblement élaborés dont le prix traduit directement le comportement des prix agricoles. Pour le moment, la hausse des taux d'intérêt et les différentes mesures qui ont été prises s'inscrivent dans la logique du cycle de l'activité, même sans inquiétude sur l'évolution des prix. L'environnement économique mondial ne justifie plus les politiques de crise et les conditions monétaires doivent évoluer." "Les banques centrales de certains pays développés (Suède, Canada, Australie) ont commencé à ajuster leur politique monétaire en relevant leurs taux directeurs. Les risques sont en fait très variables selon les pays et selon la structure de leur économie. Beaucoup de pays émergents sont d'importants producteurs de matières premières (Brésil, Russie, Indonésie) et bénéficient à la fois de la hausse de la demande physique et de celle des prix. A l'opposé, des pays comme la Chine, l'Inde ou la Corée sont avant tout des utilisateurs de ces matières premières. L'exposition à l'évolution des prix est très différente d'un pays à l'autre." "La situation du marché de l'emploi peut par exemple rendre plus facile la transmission de la hausse des coûts. Approchant le plein emploi, le Brésil apparaît particulièrement vulnérable aux tensions sur les salaires. Avec 4% de croissance, la Russie n'est pas en surchauffe mais les prix sont en hausse excessive (9,6% au mois de janvier sur un an). A l'inverse, un pays comme l'Inde est clairement confronté à de sérieuses difficultés dans la gestion de sa croissance (8%), assorties d'une progression de 9,5% des prix de détail sur un an." "L'accélération de la hausse des prix de détail est incontestable et va se poursuivre, mais cette hausse se fait à partir de niveaux souvent très déprimés et les niveaux actuels ne sont pas nécessairement très élevés. A Taiwan, la variation annuelle de l'indice des prix a été de seulement 1,1% au mois de janvier et en Malaisie, le taux annuel a été de 2,2% en décembre. En Thaïlande, l'indice est en hausse de 3% sur un an en janvier (1,3% hors alimentation et énergie), un rythme stable depuis le début de 2010. Malgré tout, la Bank of Thailand a progressivement relevé ses taux à court terme de 100 points de base." "Le poids des produits alimentaires est variable et la sensibilité de chaque pays à l'égard des prix des différentes denrées est tout aussi variable. En ce sens, l'indice des prix à Singapour est moins sensible que l'indice indien, mais sa hausse est de 4,6% en décembre (un chiffre amplifié par un effet de base en 2009)." "La volonté des banques centrales de défendre leur crédibilité face aux tensions est un facteur essentiel de la situation présente. A des degrés divers, elles sont toutes entrées dans un processus de normalisation, mais une majorité d'investisseurs jugent les politiques menées à ce jour encore trop libérales. Les taux réels sont négatifs (sauf au Brésil) et les taux nominaux devraient être sensiblement plus élevés. Qui plus est, une réaction tardive comporte le risque d'avoir à agir de manière brutale et de mettre la croissance en péril." "Au-delà des prix de détail, l'évolution des prix des actifs immobiliers est aussi prise en compte, un aspect qui ne relève pas seulement des banques centrales, car les enjeux sont politiques. Ici se trouve la source de l'inquiétude des investisseurs : une réaction excessive des gouvernements qui constitue une menace et crée une incertitude sur les rythmes de croissance, le pendant des craintes d'un recul de l'activité dans les pays développés au cours de l'été 2010." "Comment ramener la croissance à un niveau compatible avec une hausse modérée des prix ? Les autorités disposent d'une vaste gamme d'instruments : taux directeurs et liquidités, régulation bancaire (ratio de réserves obligatoires), encadrement administratif du crédit (quotas), politique de change et contrôle des capitaux (taxation dissuasive), mais aussi politique budgétaire." "La mise en oeuvre efficace de ces moyens déterminera la réussite des autorités et elle n'est pas sans embûches. Une difficulté supplémentaire réside dans les effets contradictoires de certains de ces instruments : relever les taux d'intérêt pour freiner le crédit attire les capitaux extérieurs et pousse la devise à la hausse. Cette hausse présente l'avantage d'atténuer l'inflation importée mais pèse sur la compétitivité des entreprises exportatrices." "La banque centrale chinoise a relevé à trois reprises ses taux directeurs et elle a également augmenté les ratios de réserves obligatoires des banques à leur plus haut niveau depuis 1985 (19,5% pour les grandes banques). Des mesures administratives destinées à encadrer la distribution des crédits ont de même été prises et le contrôle de certains prix a été mis en place. Eviter une bulle immobilière ou la contrôler est l'autre objectif des autorités." "Les derniers chiffres de la hausse des prix en Chine (4,9% au mois de janvier sur un an) sont encore trop élevés, même si le rôle de l'alimentation y est déterminant. L'indice hors alimentation est en hausse de 2,6% sur un an : ce chiffre représente un niveau élevé pour la Chine. Quelques premiers résultats sont à noter (ralentissement des nouveaux prêts, modération de la croissance de la masse monétaire), mais ils laissent entière la question du degré et de la durée de l'effort restrictif." "Protégée par la non-convertibilité du yuan, la banque centrale a laissé sa devise monter contre le dollar, mais de manière trop progressive pour avoir un impact sur les prix (3% de hausse depuis juin 2010). L'ampleur des effets négatifs de ces mesures sur la croissance est au coeur des interrogations des investisseurs." "L'exemple du Brésil permet d'analyser une approche globale des questions liées à la gestion de la devise et aux relations entre politique monétaire et politique budgétaire. La situation des autorités brésiliennes est un condensé de celle des pays émergents : hausse des prix (6% de rythme annuel contre 4,2% en 2009), surchauffe de l'économie (augmentation du crédit, plein emploi), hausse du real brésilien (31% en deux ans, 25% sur cinq ans) entraînée par l'afflux des capitaux extérieurs." "La banque centrale a relevé ses taux d'intervention et les réserves obligatoires (sur les opérations de change) sans obtenir de résultat, mais le projet de budget devrait permettre de compléter le dispositif de lutte contre une hausse excessive des prix. Si elle se réalise, la baisse des dépenses publiques récemment proposée devrait réduire l'effort monétaire nécessaire au ralentissement de l'économie et aboutir à une politique économique équilibrée. Autre exemple, le Chili s'en tient à la hausse de ses taux (25 points de base à 3,5% pour la dernière en date)." "A rebours de ces idées, la Turquie a choisi une approche non conventionnelle en matière de taux d'intérêt tout en augmentant le ratio des réserves obligatoires. Devant la hausse de la livre turque, la banque centrale a décidé de réduire ses taux par deux fois (75 points de base au total pour atteindre 6,25%) pour dissuader les investisseurs étrangers. Le cours de la devise s'est stabilisé depuis fin janvier. Avec les marges des entreprises, c'est la source principale d'inquiétude des derniers mois chez les investisseurs." "Y a-t-il une surchauffe généralisée nécessitant des politiques restrictives ? En fait, seuls quelques pays sont confrontés à une vraie surchauffe, appelant des mesures de restriction monétaire qui constituent une menace directe pour l'activité. Les mécanismes de la croissance émergente sont bien connus et ils sont solides. Après les rythmes soutenus atteints sur la période récente, une modération est à la fois inévitable et bienvenue." "Sans que les déséquilibres structurels aient beaucoup évolué, l'écart du rythme de croissance des deux zones, développée et émergente, est en voie de s'atténuer. La normalisation du cycle économique prendra du temps, mais l'inflexion à venir dans la zone émergente contribuera à modérer la croissance de la demande de matières premières et à réduire la pression sur les prix." "Peut-on anticiper, même de manière transitoire, un infléchissement plus sérieux qu'un retour aux rythmes historiques de la croissance des émergents ? Sauf hypothèse extrême, le rééquilibrage interne devrait se faire dans de bonnes conditions. Il sera égal