L'emploi, un défi majeur pour la Chine

19/06/2020 - 16:10 - Sicavonline - La Rédac' (mis à jour le : 26/06/2020 - 10:51)
L'emploi, un défi majeur pour la Chine

Un entretien avec Bei Xu, économiste Asie chez Société Générale

Vincent Bezault : L’activité semble se redresser en Chine comme l’attestent les derniers indices PMI, celui des services est ainsi repassé à 55 points en mai, ce qui marque un retour en zone d’expansion. Cependant, la Chine a renoncé à déterminer un objectif de croissance pour 2020, ce qui ne semble pas de très bon augure. Quelle croissance peut-on espérer pour la Chine en 2020 ?

Bei Xu : L’activité reprend en effet, surtout du côté de l’offre. La production industrielle est depuis le mois d’avril en croissance positive (par rapport à l’année précédente). L’investissement urbain vient de passer en positif en mai. Mais les ventes au détail restent en berne, bien qu’en moindre contraction, à -2,8% en glissement annuel en mai. Le gouvernement ne s’est pas fixé d’objectif de croissance pour 2020, ce qui reflète la délicatesse de l’exercice compte du haut niveau d’incertitude. Il n’a pourtant pas manqué de soutenir l’activité. Avec des quotas croissants d’émission des obligations spéciales des gouvernements (locaux et central) à 4750 milliards de yuans (presque 600 milliards d’euros), leur effet de levier dans des véhicules de financement permettraient de relancer l’investissement. C’est un moteur sur lequel les autorités chinoises peuvent compter. La croissance devrait devenir positive dès le deuxième trimestre et pour l’année 2020, elle est projetée à 1,8% par les économistes selon Bloomberg.
 
La Chine a annoncé un plan de soutien de son économie qui consiste pour beaucoup en baisse de coûts des entreprises via des exonérations fiscales, alors que Beijing avait en 2008 lancé un grand plan de relance via le développement des infrastructures. Le Premier ministre chinois, Li Keqiang, a justifié ces mesures que d’aucuns ont jugées timorées dans les termes suivants : « Nous avons dit que nous n’inonderions pas le marché [avec une liquidité excessive]. Cela reste notre politique. Mais des temps extraordinaires réclament des efforts extraordinaires. Nous fournissons suffisamment d’eau au poisson pour qu’il puisse survivre, car le poisson mourra si nous ne lui apportons pas de l’eau, mais il y aura des bulles si nous versons trop d’eau. »
Est-ce que la Chine cherche en circonscrivant sa relance pour une bonne part à des exonérations fiscales à éviter effectivement la formation de bulle alors que l’endettement du secteur privé atteint des niveaux préoccupants au dire de nombreux observateurs ? Est-ce que les mesures de soutien annoncées sont vraiment susceptibles de favoriser un redémarrage de l’économie chinois de même ampleur qu’en 2009 et 2010 (surtout si l’on admet que nombre de sociétés chinoises se trouvaient d’ores et déjà avant la crise de la Covid-19 dans des situations délicates (cf doublement à 23 % de la part des entreprises connaissant des retards de paiement de plus de 120 jours selon la Coface) ?

Les autorités chinoises cherchent en effet à ne pas inonder l’économie comme ce fut le cas en 2008-2009. Compte tenu d’un endettement déjà élevé des entreprises (à 160% du PIB), elles misent sur la capacité d’emprunt des gouvernements qui sont endettés à hauteur de 40% du PIB. Les gouvernements locaux ont vu leur quota d’émission d’obligations spéciales augmenter de 2000 milliards en 2019 à 3700 milliards (3,7% du PIB) en 2020. Ces obligations émises ne rentrent pas dans le budget général des gouvernements, elles servent à financer des investissements notamment dans les infrastructures et elles peuvent être utilisées comme capital d’un véhicule de financement, d’où l’effet de levier. De même, le gouvernement central va émettre de façon exceptionnelle 1000 milliards de yuans d’obligations spéciales. Rappelons que le gouvernement central n’a réalisé que deux émissions d’obligations spéciales par le passé, la première pour recapitaliser les quatre plus grandes banques chinoises en 1998 et la deuxième à l’occasion de la création du fond souverain CIC China Investment Corporation en 2007. Il s’agit donc d’un outil extraordinaire. Il est cependant encore trop tôt d’en évaluer l’impact sur la croissance car son usage n’a pas été spécifié (ou rendu public).

L’emploi semble la grande priorité des autorités chinoises. Li Keqiang, encore lui, rappelait que l’emploi était le facteur déterminant pour assurer des moyens de subsistance aux 900 millions de personnes composant la population active en Chine. Il précisait que 600 millions d’entre elles n’avaient que 4000 yuans (125 euros) ou moins pour vivre chaque mois. Si l’on considère qu’une part significative de ces bas revenus travaillent dans l’industrie, et que l’activité dans cette dernière aura du mal à retrouver ses niveaux d’antan compte tenu d’une demande mondiale quelque peu ébranlée, dont la faiblesse devrait logiquement mettre davantage en lumière les problèmes de surcapacité de l’appareil productif chinois, comment la Chine peut-elle relever de façon convaincante le défi de l’emploi dans les mois qui viennent ?

C’est LE défi majeur ! Si l’objectif de croissance est absent dans le Rapport du Travail du Gouvernement, celui de l’emploi y est bien présent. Le gouvernement souhaite créer 9 millions d’emplois en 2020 et maintenir le taux de chômage urbain autour de 6%. C’est un défi car le retour à l’emploi est incertain dans certains secteurs manufacturiers dépendant des exportations et dans des services tels que la restauration, le tourisme etc. Les mesures d’assouplissement monétaire ciblent en effet les PME et les TPE – 75% de l’emploi urbain. En revanche, par le passé, le système financier a toujours éprouvé une difficulté à financer les PME et les TPE. Cette fois-ci un meilleur résultat n’est pas impossible. Parmi les outils de facilités de financement, se retrouve notamment le « window guidance » prévoyant un objectif de croissance de 40% aux prêts alloués aux PME et TPE dans les grandes banques. Cela étant dit, il est encore difficile de tirer un message concluant car les prêts aux entreprises ne se traduisent pas automatiquement en maintien ou création d’emplois. Ces PME et TPE n’étant pas des grandes entreprises d’Etat, tout dépendra des anticipations des entreprises en matière de rendement et donc des perspectives de croissance. A ce niveau, les mesures y ont peu d’impact.

Est-ce que Beijing n’a pas usé jusqu’à la corde la ficelle des investissements dans les infrastructures ?

Pas aux yeux des décideurs politiques en tous les cas ! La liste des secteurs où il faut encore des investissements d’infrastructure est longue : santé publique, biosécurité, réserves d’énergie, facilités logistiques, conservation des eaux… sans parler des infrastructures modernes telles que réseau 5G, internet des objets, véhicules connectés, intelligence artificielle et centre national des données.

La passe d’armes entre Chine et Etats-Unis au plan commercial est-elle susceptible de compromettre la reprise chinoise ?

C’est bien le volet d’incertitude le plus important qui pèse sur la croissance. S’il est possible de compenser partiellement cette perte de croissance par des mesures de stimulus à court terme, la relation sino-américaine va surtout influencer la trajectoire de la Chine pour devenir une puissance internationale.
 
Les réserves de change monumentales dont dispose la Chine sont systématiquement alléguées dès lors que l’on veut imaginer que celle-ci jouit encore de moyens inexploités pour soutenir son économie si la nécessité l’impose. Est-ce que cet argument est selon vous recevable ?

Financer l’économie avec des réserves de change n’est ni la vocation ni un usage efficace de ces dernières. En revanche, leur montant suffisamment crédible assure une certaine stabilité du taux de change. Ce qui permet d’éviter des sorties de l’épargne domestique et de continuer à attirer des capitaux étrangers. La Chine pourrait alors financer son économie comme elle le voudrait sans trop de contrainte externe, la banque centrale jouissant de son autonomie en matière de politique monétaire.

Doit-on estimer au regard de la violence du choc et de son caractère déstabilisateur, que la Chine, en dépit du redressement progressif de sa croissance, ne sera plus la même locomotive pour l’économie mondiale en général et le monde émergent en particulier ?  

A court terme, tous les pays de la planète étant lourdement impactés par la même crise sanitaire, la Chine devrait rester en tête en termes de croissance. Et de ce fait, elle a une demande en croissance plus rapide que le reste du monde dont une partie sera satisfaite par les importations. D’après les nouvelles prévisions du FMI, la Chine atteindrait une croissance positive à 1,2% en 2020, soit une longueur d’avance par rapport à -7,5% en zone euro et -5,9% aux Etats-Unis et -3% au monde.
A moyen et long terme, la réponse à la question dépendra de la capacité de la Chine à préserver son potentiel de croissance malgré le stimulus. Il faudra alors veiller à ce que les gains de productivité ne soient pas usés par des dettes mal allouées. On sait que si le gouvernement chinois ne s’est pas fixé d’objectif de croissance, c’est aussi parce qu’il ne voudrait pas faire de relance excessive et répéter l’erreur du passé (à l’instar de 2008-2009). Attendons de voir si cette volonté sera tenue.

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