QUESTION DU JOUR / Emploi : une rareté programmée

15/02/2007 - 12:53 - Option Finance

(AOF) - Après l'inflation et le pouvoir d'achat, l'emploi est à juste titre redevenu l'un des thèmes centraux de la campagne présidentielle. Le gouvernement actuel se félicite d'avoir obtenu une réduction substantielle du taux de chômage. A 8,6% de la population active, celui-ci a baissé en effet de près d'un point et demi depuis la mi-2005. pour revenir un peu en dessous du niveau de mai 2002, début du quinquennat. L'opposition relativise cette amélioration en soulignant notamment la faiblesse de la contrepartie en termes de créations d'emplois durables : en 5 trimestres, 170 000 postes de travail supplémentaires seulement ont été recensés dans le secteur privé non agricole. Durant les trois derniers trimestres de l'an 2000, où le taux de chômage avait connu une baisse équivalente, 340 000 emplois privés avaient été créés, soit le double de la période récente. Le parti socialiste y voit une justification à la relance du processus des 35 heures visant à généraliser son application aux petites entreprises. Rappelant qu'aucun de nos partenaires n'a voulu l'adopter, le candidat de l'UMP considère à l'inverse qu'il faut libéraliser l'offre de travail. Le courant en faveur du partage du travail a pris son essor en France durant la récession de 1993, lorsque la barre des 3 millions de chômeurs fut franchie. En 1998, la première loi Aubry entrait en vigueur, instaurant la baisse de la durée légale du temps de travail. Fatalité usuelle de l'inertie politique, cette loi est intervenue dans un marché du travail qui se réanimait déjà spontanément. A la mi-1998, le chômage baissait depuis un an, en France comme dans l'ensemble de l'Union européenne. A la mi-2001, on pouvait estimer à 250 000 emplois créés l'impact positif des mesures successives de réduction du temps de travail (de Robien, Aubry 1, Aubry 2). De la mi-1997 à la mi-2001, selon les données harmonisées de l'OCDE, le taux de chômage a reculé de 11,6% à 8,3% de la population active en France (de 12,2% à 8,6% au sens du BIT) et de 10,6% à 7,7% pour l'ensemble de la zone euro. L'écart en faveur de la France a ainsi été de 0,4 point de chômage, soit environ 100 000 chômeurs évités. Mais à présent le taux de chômage français excède à nouveau d'un point celui de la zone euro, pour des taux de croissance quasi identiques durant ces neuf dernières années (2,25%). En 2007, la question du chômage de masse ne revêt plus du tout la même acuité qu'au milieu des années 1990. En dépit de la pression supposée des pays émergents, les taux de chômage sont en net repli dans l'ensemble des pays développés. Aux Etats-Unis, avec un taux de 4,6%, le plein emploi est quasiment atteint de l'aveu même de la Réserve fédérale ; au Japon, le taux est revenu en quatre ans de 5,5% à 4,1%, restant toutefois supérieur aux 2-3% des années 1980 ; dans l'Union européenne, le taux a chuté à 7,3%, soit le plus bas depuis la fin de 1980. D'où les préoccupations échelonnées des banques centrales : l'accélération salariale, déjà présente aux Etats-Unis, pourrait se manifester d'ici un an en Europe et s'étendre au Japon vers la fin de la décennie. Même si la croissance des pays de l'OCDE reste modérée, vers 2,5% l'an, de nombreux pays vont se trouver confrontés à de sérieux défis démographiques. L'afflux net de population en âge de travailler va en effet être profondément modifié dans les prochaines années, le plus souvent dans le sens d'un tarissement significatif. Le Japon est déjà profondément engagé dans une raréfaction de la main-d'œuvre disponible : le solde net des entrants de la tranche 18-23 ans et des sortants de la tranche 55-59 ans dépassait 750 000 par an, il y a une décennie ; il est à présent négatif d'environ 250 000. En Espagne, il revient de 450 000 à 180 000 et s'annulera d'ici 5 ans. En France, on est passé de 425 000 à 125 000. L'Allemagne bénéficie a contrario d'un afflux temporaire dû au fait que le baby-boom d'après guerre a été retardé par rapport à ses voisins. L'Italie est déjà en phase de repli de la population en âge de travailler. Les pays les plus touchés souffrent à l'heure actuelle davantage d'un déficit d'arrivées des jeunes sur le marché du travail que d'un excédent de départs à la retraite. Le Royaume-Uni n'est que temporairement concerné par la baisse de l'afflux net et les Etats-Unis ne sont que progressivement atteints. La problématique de la prochaine décennie est sans ambiguïté. Même en tenant compte de la pression exercée par les pays à bas salaires sur l'emploi des pays développés, la main-d'œuvre ira en se raréfiant. Si l'on veut continuer à croître, il est donc important dès à présent de ne rien faire qui vienne accentuer cette tendance. A l'instar du Japon, il faudra de plus pallier dans toute la mesure du possible l'insuffisance de quantité par l'amélioration de qualité du travail. Si travailler plus s'avère difficile pour certains, travailler mieux sera le leitmotiv sur lequel une majorité devra se rassembler. Philippe Sigogne, économiste