EURONEXT / Quelles interrogations suscite l'offre du NYSE ?

29/05/2006 - 17:38 - Option Finance

(AOF) - Un an tout juste après le non français au référendum sur la Constitution, l'Europe s'apprête peut-être à subir un nouvel échec : alors que, depuis des mois, les grandes Bourses de la zone, Euronext, la Deustche Börse et le London Stock Exchange se disputent sur la façon de tirer le meilleur parti de la future consolidation du secteur, ce sont finalement les Bourses américaines qui pourraient rafler la mise. Et tirer par là même un trait définitif sur tout espoir de constituer une grande Bourse européenne capable de rivaliser, précisément, avec elles. Curieux retournement de situation, notamment pour Euronext : alors qu'il se présentait, début 2005, comme un acquéreur possible du LSE, le chasseur s'est retrouvé dans la position de la proie, obligée, entre deux maux - se faire racheter par la Deutsche Börse ou par le New York Stock Exchange - de choisir le moindre... Les modalités de l'offre du New York Stock Exchange sur la Bourse paneuropéenne n'étant pas précisément connues la semaine dernière, les commentaires restent pour l'instant prudents. Le point sur lequel tous s'accordent, c'est que l'offre américaine paraît a priori plus intéressante que l'offre allemande. Cette dernière ne proposait pas de répartition équilibrée des centres décisionnels aux yeux de ses détracteurs, centralisant les postes clés de direction à Francfort. Autant dire que toute l'activité financière générée par l'activité boursière (recherche, courtage.) risquait de se polariser sur la place allemande, au détriment de Paris qui aurait été marginalisée, et réduite au rang de place secondaire. Le NYSE maintiendrait au contraire les opérations européennes en l'état. En ce sens, l'intégrité d'Euronext et son modèle fédéraliste seraient préservés. Son activité pourrait même en être renforcée. "Etre lié à la plus grande Bourse américaine pourrait permettre à Euronext de renforcer son image auprès des sociétés internationales, et de leur offrir des modalités de cotation attractives comparées aux contraintes de la Bourse américaine", avance un observateur. Les entreprises pourraient aussi y trouver des avantages. "Cela pourra peut-être inciter les investisseurs américains à s'intéresser davantage aux valeurs européennes, y compris aux mid-caps", espère le directeur financier d'une entreprise de 600 millions d'euros de chiffre d'affaires. Les entreprises françaises ne seront en outre pas fusionnées au sein d'une seule et même cote qui les aurait diluées, ce qui avait été craint dans le cas d'un rapprochement d'Euronext avec le LSE. Un tel rapprochement soulève toutefois encore beaucoup d'incertitudes. Pour les investisseurs, d'abord, l'amélioration des coûts qui pourrait en résulter est très difficile à évaluer. "Euronext est technologiquement beaucoup plus en avance que le NYSE, qui fonctionnait il n'y a encore pas si longtemps à la criée, rappelle-t-on dans une grande société de gestion américaine. Les synergies seront dès lors surtout en faveur de la Bourse américaine, et on voit mal pour l'instant en quoi cela fera baisser le coût des transactions en Europe." Les émetteurs européens en général, et français en particulier, pourraient en outre pâtir à terme d'un rapport de forces par nature défavorable à Euronext, devenu filiale du NYSE. Le projet de ce dernier a beau prévoir apparemment de maintenir indépendantes les réglementations de chaque place, qui peut être sûr que cet engagement perdurera dans le temps ? L'évolution récente des normes comptables internationales comme de la législation boursière après les scandales américains (Enron, Worldcom.) montre à quel point l'approche anglo-saxonne influence, voire conditionne les pratiques européennes. On peut donc s'inquiéter de la capacité à terme des Bourses européennes à faire valoir leur point de vue et à défendre les intérêts de leurs membres face aux régulateurs américains. "Il est important pour les émetteurs de pouvoir compter sur une Bourse qui opère avec un droit boursier qu'ils connaissent, argumente un dirigeant d'une entreprise du CAC 40. Il est également impératif qu'un rapprochement, quel qu'il soit, avec Euronext, ne conduise pas les institutions financières à retirer progressivement de la place de Paris des activités d'intermédiation : dès que ces activités n'auront plus de masse critique, elles seront condamnées à disparaître en France." Pour l'heure, entreprises, banquiers et investisseurs attendent donc d'en savoir plus sur le projet du LSE pour se mobiliser. Chez Europlace, le groupe de travail qui avait déjà réfléchi l'année dernière sur les enjeux et les modalités de la consolidation boursière, va analyser l'offre pour voir dans quelle mesure les attentes des utilisateurs sont prises en compte et si elle respecte sur la durée des éléments jugés primordiaux comme le maintient d'une Bourse fédérale décentralisée, des réglementations de chaque marché, une gouvernance équilibrée. Pour beaucoup, la partie est cependant loin d'être finie. "Les Allemands ont fait preuve d'arrogance dans leur approche, estime un financier. Mais il est très difficile pour eux d'entrer dans une logique fédérale et d'abandonner la leur, qui est centralisatrice. Sans compter que nous avons à faire à une nouvelle génération de dirigeants, qui n'a pas forcément envie de faire beaucoup d'efforts pour négocier avec les Français." La perspective d'être marginalisés pourrait néanmoins les conduire à assouplir leur position. En cas d'échec, ils ne seraient toutefois pas les seuls à blâmer : il est regrettable dans cette affaire que les politiques de tous bords, prompts d'habitude à dénoncer les dérives des marchés, ne jugent pas utile de défendre l'idée d'une bourse européenne indépendante, laissant ainsi prévaloir les intérêts particuliers, - en particulier ceux des hedge funds actionnaires des bourses - sur l'intérêt collectif.