Y a t-il un effet "match de foot" sur les rendements boursiers ?

03/07/2006 - 20:00 - Option Finance

(AOF) - Par Edouard Challe, chargé de recherches CNRS Centre de recherche sur la gestion (Cereg), université Paris-Dauphine La finance empirique d'obédience "comportementale" ne cesse de nous surprendre par son habilité à démasquer les écarts systématiques à la rationalité idéalisé de la finance traditionnelle, pétrie d'information économique fondamentale, d'efficience de marché et d'absence d'opportunités d'arbitrage. A s'engager dans cette littérature, on ne peut être qu'étonné des facteurs qui influencent la détermination des cours alors qu'ils apparaissent bien trop peu corrélés aux fondamentaux pour s'appuyer sur une explication pleinement rationnelle. On sait par exemple que les facteurs météorologiques comme la température extérieure ou la couverture nuageuse exercent une influence significative sur les cours : une faible température est en effet associée à des rendements élevés, et une forte couverture nuageuse tend à faire chuter les cours et les rendements. De manière peut-être plus surprenante encore, le changement d'heure biannuel et même les changements de phase de la lune semblent influencer les fluctuations boursières ! Même si ces effets peuvent être faibles d'un point de vue économique (ce qui explique en partie leur persistance, car les opportunités d'arbitrage qu'ils créent sont limitées), ils sont statistiquement très significatifs, et cet état de fait constitue à lui seul une énigme pour les modèles d'évaluation d'actifs traditionnels. Pour rendre compte de ces phénomènes "irrationnels", les spécialistes se tournent aujourd'hui vers la psychologie cognitive, dont l'objectif est précisément d'analyser des mécanismes de perception, de compréhension et de raisonnement des individus, ainsi que de la manière dont ceux-ci sont influencés par le milieu extérieur. Même si l'on est encore très loin d'une vision aussi unifiée que ne l'est l'hypothèse d'efficience des marchés, certains éléments d'explication des anomalies précitées apparaissent alors assez naturellement. Les psychologues savent par exemple qu'une faible température provoque une certaine agressivité chez les individus ; comme celle-ci favorise à son tour la prise de risque, une chute de température conduit à une baisse de la prime de risque requise en courte période et donc à une élévation des cours. On sait aussi depuis longtemps que la luminosité influence positivement l'optimisme des individus ; c'est ce surcroît d'optimisme qui conduit les investisseurs à surévaluer les perspectives de profits associées à la détention d'actifs. De la même manière, les perturbations du sommeil induites par le changement d'heure favorisent l'anxiété, qui à son tour freine la prise de risque et provoque un effet correcteur à la baisse tandis que l'effet négatif de la pleine lune sur le moral des individus induirait des comportements plus vendeurs que lors des nuits sans lune. L'ensemble des facteurs pris ici en exemple apparaissent donc corrélés aux mouvements boursiers non pas en raison de leur impact économique "fondamental", mais bien à cause de leur effet sur l'humeur des investisseurs. Et le football, dans tout ça ? L'influence que peut avoir une victoire en Coupe du monde de football sur le moral du pays gagnant aura échappé à peu de lecteurs. Au regard des cas précédemment cités, on peut légitimement suspecter que les résultats sportifs, sur lesquels d'importantes bases de données sont par ailleurs disponibles, affectent eux aussi les variations boursières. Partant de cette intuition, une étude à paraître dans le prestigieux Journal of Finance1 se propose d'évaluer systématiquement l'impact des résultats des matchs de Coupe du monde de football sur les performances des marchés boursiers des pays concernés. L'effet mesuré, celui des rendements en excès induits par la victoire ou la défaite le jour ouvrable suivant le match, est saisissant. En premier lieu, l'impact d'une défaite sur les rendements est à la fois significatif statistiquement et important économiquement : une défaite est en effet associée à une perte de rendement de 38 points de base en moyenne pour l'indice boursier du pays concerné. En second lieu, l'effet est asymétrique, seules les défaites ayant un impact significatif, et non les victoires. L'explication avancée de cette asymétrie est l'existence d'un "biais d'allégeance", terme par lequel les psychologues désignent une distorsion des anticipations conduisant les fans à surestimer la probabilité de victoire de leur équipe ; une victoire leur apparaît alors relativement normale et une défaite particulièrement décevante. Enfin, la taille de l'effet est liée à l'importance du match. Ainsi, une défaite en phase de qualification (avant la Coupe du monde proprement dite) n'induit qu'une perte de 13 points de base, alors qu'une défaite en phase d'élimination (à partir des huitièmes de finale) fait perdre au rendement sur l'indice du pays concerné pas moins de 49 points de base ! Remarquons enfin que les valeurs de l'indice sont inégalement touchées par ces moments de désespoir collectif : les petites capitalisations, dont on sait que l'actionnariat est plutôt local et relativement peu internationalisé, sont assez logiquement celles qui souffrent le plus de l'effet "match de foot". 1. A. Edmans, D. Garci et O. Norli, "Sport sentiment and stock returns", Journal of Finance, à paraître.