Quel choix pour Euronext ?

04/07/2006 - 16:41 - Option Finance

(AOF) - Interview Jean-François Lepetit, professeur associé à l'Edhec, ex-CEO d'Indosuez, ex-président du CMF et de la COB Un rapprochement d'Euronext avec une autre entreprise de marché était-il selon vous inéluctable ? La globalisation des marchés financiers, l'ouverture à de nouvelles formes de concurrence, comme celle de l'internalisation des ordres, obligent les Bourses organisées à se concentrer. Dans cette perspective, Euronext peut aujourd'hui se marier avec la Deutsche Börse ou avec le New York Stock Exchange. Dans les deux cas, les conséquences de son choix seront importantes pour les institutions, les structures et les acteurs des marchés français, européens et mondiaux. Le choix relèvera au final des actionnaires, sur proposition de leurs directions et de leurs conseils d'administration, dans le cadre des régulations applicables. Certains, comme moi autrefois, peuvent regretter que les actionnaires historiques des Bourses nationales, au-delà d'une nécessaire démutualisation, aient éprouvé aussi le besoin de coter leurs actions et de vendre leurs titres au risque de perdre le contrôle d'instruments de Places, mais c'est un fait. Quels sont les points forts de chacun des rapprochements envisagés ? Faire monter Euronext dans le même train que le NYSE, deux Bourses de même poids et de métiers semblables ou complémentaires, est très séduisant. L'Amérique financière est un monde connu de tous les acteurs, c'est un train mû par l'esprit d'entreprise, par la dynamique de l'économie de marchés ; c'est la certitude de croissance, celle de la conquête de l'Europe sans doute, ce sont des profits assurés. L'homme de marchés que je suis sait en outre qu'il a tout appris professionnellement à Wall Street et à Chicago et il ne voit guère ce qu'il doit à Francfort. Il est vrai que ce sont là des valeurs, des expériences auxquelles nos compatriotes sont peu sensibles. L'alternative de Deutsche Börse, c'est se fondre dans un melting-pot culturel d'une Europe en gestation, c'est participer à la création de l'Europe financière, c'est faire la première Bourse en euros, c'est dépasser la masse critique permettant l'absorption de toutes les autres Bourses européennes. Ce sont là d'autres valeurs, d'autres critères, plus politiques que financiers et professionnels. Les aspects de régulation préservent-ils le contexte propre à chaque marché ? Les aspects réglementaires sont au cœur de la problématique d'une construction transfrontalière. Les négliger a déjà provoqué l'échec de la fusion LSE-DB. Cette fois, la DB a décidé l'adoption du schéma de régulation d'Euronext : chaque marché garde son identité, un collège de régulateurs approuve consensuellement les règles des Bourses - et notamment le rule book -, et chaque régulateur fait son affaire de l'ajustement de sa régulation nationale. Les acteurs de chaque marché restent dans leur environnement propre, avec "leur" régulateur et "leur" régulation, dans un marché globalement harmonisé. C'est là une construction vraiment fédérale, un modèle de construction européenne évolutive auquel j'ai eu le privilège de participer. C'est le point le plus fort de la proposition DB même s'il faut sans doute souligner une complexité allemande d'avoir en fait deux régulateurs autour de la future table, dont l'un, le Land de Hesse, organe politique, ne semble pas être un modèle de consensualisme. La régulation est une question encore ouverte du projet NYSE et sans doute son point faible. Il est vrai, j'en ai été le témoin, que la coopération de la SEC, et de ses commissaires, avec leurs homologues européens est bonne, et que la France et les Etats-Unis partagent une philosophie de la régulation assez semblable, même si les Etats-Unis ont montré et démontré souvent une conception assez impérialiste de l'extra-territorialité, avec l'intervention musclée de leur Parlement. Dans le cadre du projet NYSE, il ne s'agit pas d'harmoniser les règles d'un nouveau marché, mais au contraire de créer un ensemble capitalistiquement intégré et réglementairement séparé par des cloisons étanches, objectif nécessaire mais réducteur et complexe. Quoi qu'il en soit, le projet est soumis à l'approbation des régulateurs américains et européens, auxquels il revient de le rendre crédible. Euronext est-il assuré, dans un cas comme dans l'autre, de garder la main sur son avenir ? Les négociations ont apparemment abouti jusqu'ici dans les deux cas à des équilibres aussi en faveur d'Euronext que possible dans des structures qui ne peuvent que refléter finalement le contrôle américain ou allemand de la nouvelle structure. Sans rentrer dans les détails, le choix est entre le devenir d'une filiale d'une société américaine en Europe et celui d'une société européenne sous leadership allemand. Nous sommes là ramenés à la dimension géopolitique déjà évoquée, à cette nuance près que la culture allemande du vorstand laisse clairement plus de place et de pouvoir à chacun de ses membres que la culture de la concentration des pouvoirs chez le CEO américain ou le PDG à la française. C'est un point non négligeable pour l'éventuel représentant d'Euronext responsable des marchés actions, de leur stratégie, de leurs moyens informatiques et de leur budget dans un environnement à l'allemande. Encore faut-il qu'il y ait une répartition équilibrée et effective des pouvoirs entre les représentants d'Euronext et ceux de Deutsche Börse. D'un point de vue pratique, comment se résoudrait, dans le cas d'un rapprochement avec DB, la difficulté liée à la différence des modèles d'organisation au niveau du post-marché ? A l'intérieur des frontières d'un pays, le modèle allemand d'intégration verticale est le plus efficace et le plus profitable, au détriment probablement des acteurs. Transfrontalière, il n'a pas de sens dans des marchés où la concurrence - et bientôt sans doute les règles européennes - imposent des structures post-marché horizontales. Le modèle allemand se modifiera donc dans le temps mais, paradoxalement, la DB peut revendiquer aujourd'hui le contrôle et la location géographique de la nouvelle structure grâce au poids capitalistique d'une intégration de métiers que les faits ou la réglementation lui imposeront demain de déstructurer. Pour Euronext qui a déjà réalisé ce mouvement, c'est un retour en arrière ! Le modèle allemand donne enfin aux services informatiques et à leurs dirigeants une importance relative qu'on ne retrouve pas dans le modèle Euronext ni dans celui du NYSE. Et quelle est votre conclusion ? Je comprends très bien qu'Euronext puisse préférer le mariage avec le NYSE dans l'état actuel des négociations, comme je comprends aussi les inquiétudes que peut provoquer le long bras de régulateurs américains. Mais, comme nous l'avons déjà dit, ce sont les actionnaires des Bourses qui feront la conclusion. (AOF)

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Née en septembre 2000 de la fusion des bourses de Paris, d'Amsterdam et de Bruxelles, Euronext a est la première Bourse paneuropéenne entièrement intégrée. Regroupant également la Bourse de Lisbonne (BLVP) et le marché dérivés de Londres (Liffe), Euronext propose un large éventail de services aux investisseurs et aux entreprises à la recherche de capitaux : cotation, négociation sur dérivés et sur actions, compensation, règlement-livraison, diffusion d'informations relatives aux cours et aux données de marché, vente de logiciels de marchés.

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- On surveillera particulièrement les volumes de transactions sur les marchés d'actions et dérivés ainsi que la volatilité de ces marchés. L'activité de fusions-acquisitions, les rachats d'actions ainsi que la dynamique des introductions en bourse jouent sur les volumes de transactions. - En période difficile, la baisse du nombre de transactions sur actions peut être compensée par la hausse des transactions sur les produits de taux et par les activités de ventes de logiciels.