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Les enjeux pétroliers - entretien avec Benjamin Louvet (OFI AM) - 2/3

03/04/2020 - 15:27 - Sicavonline - La Rédac' (mis à jour le : 04/05/2020 - 12:48)


Les enjeux pétroliers - entretien avec Benjamin Louvet (OFI AM) - 2/3

Retrouvez le deuxième épisode de notre série consacrée au Pétrole en compagnie de Benjamin Louvet, spécialiste des matières premières chez OFI AM. L’avant-dernier volet de notre entretien traite du stockage du pétrole et plus particulièrement de la capacité de stockage de l’or noir qui pourrait à très court terme devenir un sujet supplémentaire et majeur de préoccupation.

Vincent Bezault : Dans la première partie de notre entretien (mettre le lien), vous souligniez que la situation actuelle a eu un retentissement énorme sur l'offre et la demande. J'aimerais que vous développiez à ce propos, puis que l'on aborde, dans un second temps, le problème du stockage, dont on en parle peu mais qui va constituer un enjeu colossal très rapidement. Commençons, tout d'abord, par le rapport offre / demande. Vous nous disiez finalement qu'on observe la formation d'un déséquilibre.

Benjamin Louvet : Oui, on est à la confrontation de deux chocs qui s'entrecroisent et qui ont un impact très lourd, l'un comme l'autre, sur l'équilibre offre / demande. Le premier est un choc d'offre. Le désaccord historique entre la Russie et l'Arabie saoudite lors du précédent sommet de l'OPEP a amené les deux parties à rentrer dans une guerre de parts de marché. L'Arabie saoudite, dans un premier temps, a dit qu'elle allait demander à sa société nationale Saudi-Aramco d'augmenter sa production au-delà de 1 millions de barils puis jusqu'à 12 M de barils par jour. Elle a même demandé à cette société d'augmenter ses capacités de production jusqu'à 13 millions de barils par jour, ce qui a provoqué un gros afflux de pétrole sur le marché. Dans le même temps, la Russie a également annoncé qu'elle allait augmenter sa production, on s'est donc retrouvé avec deux pays en lutte acharnée. L'Arabie saoudite a même décidé de baisser ses official selling price, c'est-à-dire le prix auquel elle vend son pétrole, de façon à être plus compétitive partout dans le monde. Au regard de ces différentes décisions, le marché se retrouve aujourd'hui avec une offre supplémentaire de pétrole par rapport à la situation précédente. Je rappelle également que les précédentes baisses de production votées ont été annulées, soit près de 4 M à 4,5 M de barils par jour. En définitive, l'offre a augmenté de 4 M à 4,5 M barils/jour.

Dans le même temps, on a assisté à un choc de demande absolument terrible suite à la propagation du coronavirus, qui s'aggrave au fur et à mesure que de plus en plus de pays, d'Etats et de villes décident de mettre leur population en confinement. Qui dit confinement, dit de moins en moins de consommation de pétrole pour l'aviation, mais aussi pour les voitures. De ce fait, alors qu'on s'attendait, dans un premier temps, à une baisse de la consommation autour de 5 à 6 M de barils par jour, on commence à parler de montants qui pourraient atteindre une vingtaine de millions de barils par jour. Si vous ajoutez le choc d'offre avec plus 4 millions de barils par jour à minima au choc de demande de 20 millions de barils en moins, vous arrivez à un total de 24 millions de barils par jour de sur-approvisionnement du marché par rapport à la demande. Face à cette offre surabondante inédite, il va falloir trouver un moyen de stocker ce pétrole surnuméraire.

VB : Ce qui nous amène à ce fameux mur du stockage ?

BENJAMIN LOUVET : C'est un véritable sujet. On en parle assez peu mais il arrive dans les périodes délicates comme celle que l'on vit en ce moment, où on produit trop de pétrole par rapport à ce qu'on consomme, qu'on doive stocker du pétrole. Quelles sont les capacités de stockage ? Deux grands types de capacités stockage existent : le stockage sur terre avec des fermes de stockage, qui disposent de citernes permettant de stocker le pétrole en attendant de le consommer ; dans un second temps quand les fermes sont pleines, on dispose en dernier recours des stockages flottants. On réquisitionne les tankers, normalement utilisés pour bouger le pétrole, afin de stocker le pétrole durablement.

Aujourd'hui, on estime −estimation faite par JP Morgan tout récemment− que dans le monde, il reste une capacité de stockage disponible, tous stockages confondus, y compris le stockage flottant, d'à peu près un milliard de barils. Cela veut dire, si l'on repart de l'hypothèse que j'évoquais tout à l'heure, d'un sur-approvisionnement du marché d'environ 25 millions par jour, qu'au bout de quarante jours les capacités de stockage mondiales seront complètement saturées.  A partir de là, on se retrouve dans une situation où on ne peut plus ranger le pétrole nulle part. Il n'existe pas beaucoup d'autres solutions, si ce n'est que de continuer à faire baisser le prix du baril de pétrole jusqu'au moment où les compagnies seront obligées de se mettre à l'arrêt pour réduire l'approvisionnement du marché en pétrole de façon à ce qu'il se rééquilibre.

VB : On pourrait avoir une dépression accentuée des prix pétroliers, c'est ce que vous êtes en train de nous annoncer finalement.
 
BENJAMIN LOUVET : Oui. Dans une telle situation, si le confinement devait être prolongé au-delà de ces quarante jours, et on peut le supposer qu'il en soit ainsi, −on a entendu le maire de New-York évoqué un confinement qui pourrait durer jusqu'à neuf mois− on aurait besoin de faire baisser le prix du pétrole jusqu'au moment où le prix est tellement bas que cela fait baisser la production. On estime devoir descendre jusqu'à 15 dollars voire 10 dollars le baril avant de parvenir à rééquilibrer le marché.

VB: J'aimerais vous faire réagir à un raisonnement assez simple que l'on entend parfois selon lequel si les prix du pétrole baissent finalement c'est positif. Dans le contexte actuel, est-ce que ce n'est pas être complètement à côté de la plaque ?

BENJAMIN LOUVET : En fait, ce qui est amusant, dans ce que vous soulignez, c'est que l'on a eu plusieurs phases ces dernières années et notamment dans les années post-2008. Quand les prix du pétrole étaient élevés, les gens disaient : « c'est bien parce que cela va créer de l'emploi aux Etats-unis, ça va aider à soutenir l'économie. » Puis quand les prix du pétrole baissent, on dit également que cela est positif parce que cela permet de soutenir la consommation. En réalité, c'est un peu difficile de s'y retrouver. Aujourd'hui, on dit effectivement que la baisse du prix du pétrole redonne du pouvoir d'achat aux consommateurs et qu'en ce sens cela pourrait être une bonne nouvelle pour l'économie. Mais il faut regarder les choses froidement, aujourd'hui, le consommateur est confiné chez lui. Donc, il ne peut plus utiliser l'avion, il ne peut plus utiliser la voiture et donc le prix du baril de pétrole pourrait être à 20 dollars, à 10 dollars ou à 5 dollars, cela n'aurait aucun effet sur sa consommation de pétrole.

En fait, je réfute cet argument qui voudrait que la baisse du prix du pétrole soit une bonne nouvelle pour l'économie, parce que la baisse des prix du pétrole aujourd'hui, personne, malheureusement, ne peut en profiter, compte tenu de la situation sanitaire dans laquelle nous sommes.

VB : Benjamin, dans un contexte si compliqué, quelles sont, selon vous, les entreprises du secteur pétrolier qui sont les mieux armées pour résister à ce choc déflationniste ?

BENJAMIN LOUVET : C'est une question compliquée. On ne peut que faire des hypothèses. La première chose que les entreprises vont faire est de se mettre en mode survie et abaisser leurs investissements. Un certain nombre d'entre elles dont des compagnies de pétrole de schiste ont déjà commencé à l'annoncer. Beaucoup d'entre elles ont également annoncé ou vont aussi annoncer de très fortes réductions de leurs dividendes, voire leur suspension, de façon à pouvoir économiser et se mettre en situation de tenir le plus longtemps possible.

Je pense aussi que les majors sont mieux armées que les autres parce qu'elles sont moins endettées. Elles ont des investissements qui portent à plus long terme et, aujourd'hui, et, de mon point de vue, sont peut-être aussi dans des situations financières un peu meilleures que celles de l'industrie du pétrole de schiste aux Etats-Unis. L'industrie du pétrole de schiste va incontestablement souffrir. On peut penser que les compagnies nationales ou les grosses compagnies, ce qu'on appelle les majors, les gros producteurs, comme Total ou BP, qui ont aussi un rôle stratégique au niveau national, ont peut-être une capacité supplémentaire à survivre et à tenir, d'autant que les Etats, de toute façon, ne pourront pas laisser tomber ces sociétés, ne serait-ce que pour des problématiques stratégiques et géopolitiques.  A mon sens, ces entreprises sont, sans doute, les mieux armées aujourd'hui. Les plus fragiles étant, sans doute, les sociétés de services pétroliers, qui, elles, prennent de plein fouet la crise qu'on est en train de connaître, parce qu'évidemment, s'il y a un fort ralentissement du pétrole de schiste des sociétés de service comme Halliburton, très implantées aux Etats-Unis, vont beaucoup souffrir. Si les prix du pétrole restent durablement bas, les sociétés de services d'une façon générale vont être extrêmement touchées. On l'a vu avec des valeurs comme CGG ou Vallourec, qui souffrent beaucoup de cette situation et qui pourraient continuer à souffrir.

VB : Question difficile Benjamin : devant une telle situation comment arrive-t-on à définir une valeur plancher pour une entreprise ?
 
BENJAMIN LOUVET : Il n'y a pas vraiment de réponse. Aujourd'hui, ce qui nous sauve (chez OFI AM), c'est que l'on était totalement à l'écart du secteur de pétrole de schiste aux Etats-Unis et ce pour plusieurs raisons. C'est tout d'abord une industrie fortement endettée et reposant sur un modèle qui consiste à devoir en permanence opérer une fuite en avant pour arriver à maintenir la production ou continuer à l'augmenter, en raison d'une forte déplétion : 70 % de perte de production au bout de 18 mois sur un puits. Les exploitants de pétrole de schiste doivent en permanence ouvrir de nouveaux puits ce qui exigent d'investir en permanence.

Le pétrole de Schiste pose également un problème environnemental. L'exploitation des pétroles de schiste émet beaucoup de méthane. Le méthane est un gaz à effet de serre très puissant, qui a un pouvoir de réchauffement climatique 25 à 30 fois supérieur à celui du CO2. Aujourd'hui, quand vous exploitez un puits de pétrole, qu'il soit de schiste ou conventionnel, vous ne récupérez pas que du pétrole, vous récupérer du gaz et plus le temps passe, plus la part de gaz que vous allez récupérer est importante. Aux Etats-Unis, compte tenu développement du pétrole de schiste, le prix du gaz s'est complètement effondré. En conséquence de quoi, ce n'est plus intéressant pour les sociétés qui exploitent le pétrole de schiste de construire les infrastructures pour vendre leur gaz de schiste. Beaucoup de ces sociétés mettent un tuyau à la sortie du puits, allument une flamme et font brûler ce gaz, cela s'appelle du torchage ou du flaring en anglais. D'un point de vue climatique, c'est très mauvais et on peut se poser la question de savoir si d'autres que nous, puisqu'on a décidé de ne plus investir dans ces sociétés, ne vont pas se poser la même question, vu que les problématiques climatiques prennent de plus en plus d'ampleur.

Quant aux valeurs plus classiques, notamment les majors que j'évoquais tout à l'heure, dans une perspective plus long terme, il nous semble qu'elles présentent un gros potentiel de rattrapage. Les sociétés stratégiques devraient être soutenues par l'Etat du pays qui les héberge et vu qu'on ne va pas être en mesure de se passer de pétrole demain matin, faute de solution de remplacement efficace et rapide, le pétrole est un élément indispensable à la logistique. Pour preuve, en France, un camion sur trois qui circulent transporte de la nourriture. Si on réduit drastiquement notre consommation de pétrole sans avoir de solutions alternatives, on se retrouverait avec un problème beaucoup plus important pour notre économie.


 

Vous pouvez retrouver la première et très bientôt la troisième partie de cet entretien ici :

Les enjeux pétroliers - entretien avec Benjamin Louvet (OFI AM) -1/3


Les enjeux pétroliers - entretien avec Benjamin Louvet (OFI AM) -3/3

 

 

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