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Bourse : le réveil sera douloureux

23/04/2020 - 15:27 - Sicavonline - La Rédac' (mis à jour le : 04/05/2020 - 12:44)


 Bourse : le réveil sera douloureux

A l’occasion de ce premier entretien d’une série qui en compte trois, Pierre-Yves Gauthier, fondateur et président du cabinet d'analyse financière Alphavalue, considère, chose d’importance pour tous ceux qui songent à investir, que les marchés sont une fois de plus en plein déni de réalité et les sociétés survalorisées au vue de la situation économique réelle, qui loin d’être brillante pourrait ne pas se redresser avant un bon moment.

Vincent Bezault : Pierre-Yves Gauthier, vous êtes le fondateur et président du cabinet d'analyse financière Alphavalue. Le 21 février dernier, nous avons publié une interview réalisée ensemble où vous dénonciez le grand mensonge par omission des entreprises qui faisaient mine alors de ne relever aucune incidence sur leur activité de l'épidémie de coronavirus en Chine. On a vu par la suite que les faits vous ont donné implacablement raison. Au 16 avril 2020, les indices européens ont cependant repris du poil de la bête, le CAC 40, l'Euro Stoxx, pour ne parler que d'eux, ont regagné une quinzaine de pourcents en un mois. Les gains sont encore plus significatifs aux Etats-Unis avec un Nasdaq et un S&P 500 qui ont repris plus de 20% chacun. Selon vous, Pierre-Yves Gauthier, le compte n'y est pas, les marchés s'illusionnent une fois de plus.

Pierre-Yves Gauthier : Absolument. Les résultats anticipés début 2020 pour l'exercice 2020 prévoyaient une progression de 10%, aujourd'hui, nos anticipations sont de -40%. Si on considère que les marchés rejoignent tôt ou tard l'activité réelle, une forte correction apparait absolument inévitable. Nous sommes également très perplexes sur le fait que l'argent distribué par les banques centrales et les gouvernements puissent justifier une telle reprise des marchés par rapport à leur point bas. Dit autrement, en considérant que les séquences de résultats prévues par Alphavalue se révèlent proches de la réalité, le fameux multiple cours/bénéfices, qui mesure la valorisation, est aujourd'hui à 22 fois, c'est-à-dire 50 % supérieur à celui des années où la valorisation est élevée au sein de l'espace européen.

VB : Vous sous-entendez que les marchés sont totalement survalorisés. Il circule toutefois l'idée parmi vos confrères que 2020 sera rattrapé par 2021 et que si on fait la somme des deux, c'est-à-dire que l'on agrège la chute des profits de 2020 et le rebond des bénéfices en 2021, on parvient à zéro et qu'en somme les entreprises sont aujourd'hui correctement valorisées.

PYG : De notre point de vue, cela est une idée absurde et nous nous inscrivons en faux contre cette lecture du monde bien trop simplificatrice. Pourquoi ? Parce que derrière les pourcentages se cache un élément nettement plus significatif que sont les rentrées d'argent et non les écarts de variations. En 2020, la masse des résultats de l'espace européen sera inférieure au point bas de 2009 et cette année-là, je le rappelle, nous avons atteint un point bas en matière de résultats suite à la grande crise financière.
Concernant l'année 2021, chaque jour, on revoit en baisse les anticipations. Le chiffre sera inférieur au niveau de 2007. On chiffre la perte à cinq années de résultat, alors qu'entre-temps les cours de bourse sont loin de s'être ajustés dans les mêmes proportions. Or, le monde réel est bien fait d'euros et non de variations d'une année sur l'autre.

VB : Il faut raisonner en valeur absolue et non en valeur relative.

PYG : Absolument. On navigue à vue et nous découvrons au fur et à mesure l'ampleur des dégâts liée à la décision politique de confinement. Et nous ne sommes qu'au début de ce processus. Les entreprises elles-mêmes sont en train de réaliser à quel point leurs plans sont bouleversés et quand elles communiquent, ce qui reste relativement rare, on voit bien que les logiques de redressement ne se feront pas d'une année sur l'autre, mais plutôt sur les trois prochaines années, soit entre 2020 et 2023.

VB : Vos données de terrain vous permettent-elles aujourd'hui de complètement réfuter l'hypothèse d'un scénario d'une reprise en V ?

PYG : Oui. On voit bien que les consommateurs, qui sont un maillon essentiel de la croissance d'un PIB et par construction de l'évolution positive des résultats des entreprises, sont en train de changer leurs habitudes de manière assez extrême. Des idées qui paraissaient simples, du type reprise en V, comme par exemple une baisse de la consommation discrétionnaire pour avoir une forte reprise dans les mois suivants la sortie d'un confinement, sont en train de s'étioler à grande vitesse. On observe que le consommateur change radicalement de comportement avec l'idée de durablement moins consommer afin si besoin de faire face à des échéances financières.

VB: Je m'arrête quelques instants sur ce que vous venez dire ; parce qu'aujourd'hui en bourse en termes de performances, les hiérarchies sectorielles suivantes se dessinent : l'hôtellerie l'automobile, le transport, l'aéronautique sont évidemment à la cave, en ce sens qu'ils sont frappés de plein fouet par l'arrêt quasi-total de leurs activités et puis, du côté des "surperformeurs" on compte la pharmacie, la consommation discrétionnaire et la consommation de base. Pierre-Yves Gauthier, ce que vous êtes en train de dire, en fait, c'est que le marché là encore se trompe, en tout cas pour la consommation ?

PYG : Oui. Il raisonne de façon classique, comme si nous traversions une crise financière ou un ralentissement ordinaire, alors que ce n'est pas du tout un choc comme les autres. Il va falloir admettre que des secteurs qui semblent très protégés parce que la consommation serait naturellement stable, comme disons la consommation alimentaire, ne seront pas forcément épargnés. Le marché va découvrir que les clients ont modifié leurs habitudes notamment en abaissant la qualité des produits achetés et ce choix budgétaire peut avoir un impact extrêmement négatif sur les marges, y compris au sein des secteurs qualifiés de défensif.
A notre sens, cette dichotomie sectorielle opérée par les marchés reflète une réaction très traditionnelle et n'anticipe absolument pas ces changements radicaux de comportement des consommateurs et des entreprises.

VB : Au-delà de cela, appliquer une grille de lecture sectorielle a-t-il encore franchement du sens ?

PYG : Non, absolument pas. Nous sommes convaincus qu'il est nécessaire d'examiner à la loupe les entreprises, en particulier leur business model et leur bilan. Si on prend un exemple comme Biomérieux, qui a priori exerce dans un secteur favorisé, celui de la santé, ses publications pour le premier trimestre 2020 sont très éclairantes. La société bénéficie pour une partie de son activité d'une forte demande de la part des centres de recherche qui mènent des travaux, on l'imagine sur des problématiques comme le Covid-19, mais par contre le même Biomérieux a vu son activité se contracter dans le cadre de son activité traditionnelle, celle de la vente de produits à destination des laboratoires. Résultat : pour une même entreprise de grande qualité et au bilan robuste, on peut avoir deux facettes complètement opposées. Preuve qu'il est plus que jamais nécessaire de se montrer prudent et rigoureux dans la sélection des sociétés.

VB : Est-ce que l'on n'est pas fondé, toujours parmi les mauvaises nouvelles, à redouter des dépréciations d'actifs ? Je m'explique : nous avons un certain nombre d'entreprises qui ont cherché à créer de la valeur en acquérant des marques concurrentes, on nous précisait d'ailleurs que la marque était la source même de la valeur de la création de valeur. Du coup, certaines entreprises ont payé ces marques très cher. Or, aujourd'hui nous sommes en droit de nous demander ce que vaut réellement une marque, surtout si elle n'est plus adossée à sa base de consommateurs.

PYG : C'est une question qui s'était déjà posée en 2009 et qui est restée à l'époque sans suite, mais qui pourrait à nouveau revenir sur le devant de la scène. On voit d'ailleurs des auditeurs qui s'interrogent sur la possibilité de déprécier ces actifs dans les comptes, dans la mesure où l'activité économique relative à ces marques n'est pas la hauteur du prix payé. Je précise que les sommes en jeu pèsent lourds. Pour donner un ordre de grandeur des fameux goodwin, ces marques identifiées et isolées dans les bilans, pèsent à peu près 2 000 milliards d'euros face à des fonds propres qui sont de moins de 6 000 milliards d'euros. Un ajustement de la valeur des marques aurait un impact assez considérable sur les bilans des entreprises.

VB : Pierre-Yves Gauthier, est ce que dans le contexte actuel, il ne faut tout simplement pas admettre qu'il est quasiment impossible de valoriser correctement une entreprise ?

PYG : Impossible, non. Mais c'est important d'évoquer cette difficulté ainsi que la disparition d'un pan essentiel de l'exercice de valorisation. Ce pan est celui du flux de dividendes. Sans dividendes, il est beaucoup plus difficile de valoriser un actif financier quel qu'il soit. Or, les décisions très brutales qui ont été prises, à l'exemple d'Adidas qui du jour au lendemain coupe le paiement de dividendes, faisant le choix de la survie en recourant aux financements de l'Etat allemand. Ce type de décision créée une coupure du flux dividende et a des incidences sur la méthode de valorisation des entreprises.

VB : L'exemple d'Adidas est frappant parce que les investisseurs cherchent aujourd'hui un critère permettant de se rassurer dans un contexte où les chiffres d'affaires se sont volatilisés. Adidas est une société qui avait jusqu'à présent la réputation de présenter un excellent bilan. Il n'empêche qu'elle a dû se tourner vers l'Etat pour assurer sa survie. On en revient à la même question : que peut valoir une société, même présentant le meilleur bilan du monde, si ses consommateurs disparaissent pendant plusieurs mois ?

PYG : Elle ne vaut que sa capacité à lever des liquidités, qui dépend du bon vouloir de ses prêteurs notamment d'un gouvernement qui va préférer prêter de l'argent plutôt que de voir une entreprise contrainte de licencier. On peut donc affirmer que la structure de valorisation d'une entreprise, fut-elle d'immense qualité comme Adidas, vient de changer, puisque cette valorisation est totalement dépendante de sa survie et de l'intervention d'acteurs qui normalement ne participent pas à sa valorisation, autrement dit, les prêteurs et l'État.

VB : Vous avez mentionné tout à l'heure la politique monétaire. Est-ce que tout de même les torrents de liquidités déversés par les banques centrales ne fournissent pas un coussin de protection aux actions ?

PYG : Cette abondante liquidité peut avoir un impact positif pour peu qu'elle atterrisse sur les marchés financiers, cela permet aux investisseurs de reprendre des positions sur les actifs notamment risqués et cela explique peut-être le rebond actuel. Mais en pratique, cet argent a beaucoup de mal à circuler dans le monde réel. On voit bien que les banques ont de grandes difficultés à réorienter les flux vers les PME. L'économie réelle est bel et bien en contraction et disposer d'un tas d'argent ou valoriser un actif qui fond comme neige au soleil ne permet pas d'anticiper un redressement de la valeur de cet actif. En conséquence quoi, nous sommes extrêmement sceptiques sur l'effet de levier des ressources des banques centrales sur les actifs à risque que sont les actions, voire les actifs obligataires d'entreprises.

VB: On arrive au terme de cet entretien. Si je vous ai bien compris un CAC 40 autour de 4400 points, qui est le niveau auquel il se situe à l'heure où nous enregistrons, ne reflète absolument pas les perspectives considérablement assombries des entreprises en matière de génération de profits.

PYG : Exactement.

VB : Pierre-Yves Gauthier, merci beaucoup. Nous vous retrouverons dans une prochaine émission consacrée au traitement des actionnaires dans les années qui viennent. Sans dévoiler dans le détail la teneur de vos propos, vous considérez que les perspectives à court et moyen terme des marchés actions ne sont pas vraiment alléchantes, vous estimez de surcroît qu'on est en train de changer de paradigme et qu'en somme la période où tout était pour l'actionnaire où l'actionnaire était roi est désormais révolue, c'est un thème qui mérite qu'on s'y attarde.

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