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Un investisseur averti en vaut deux !

10/06/2020 - 09:00 - Sicavonline - La rédac'


Un investisseur averti en vaut deux !

Moment Minsky, bais d'endogroupe, heuristique de disponibilité, raisonnement probabiliste, cygne noir, loi géométrique et loi arithmétique, épochè…Des clés pour mieux comprendre et appréhender le comportement des marchés. Un entretien en compagnie de Didier Saint-Georges, membre du comité d'investissement stratégique chez Carmignac.

VB : Didier Saint-Georges. Vous êtes membre du comité d'investissement stratégique chez Carmignac. On sait bien que le comportement des marchés boursiers est souvent pour ne pas dire pour l'essentiel affaire de psychologie. Alors est-ce que le comportement des investisseurs lors de cette crise du Covid n'a pas mis en évidence certains biais comportementaux dont il serait bon d'être conscient afin de conserver un minimum de lucidité qu'on soit investisseur particulier ou professionnel ?

DSG : Oui. Je pense que ce serait bénéfique, mais c'est aussi, il faut le reconnaître, très difficile. On a tous des biais et s'il est relativement facile de voir ceux des autres, il est en revanche plus dur d'être conscient de ses propres biais. Pour ce qui est des marchés, on constate sans grande difficulté les biais à l'œuvre, particulièrement un biais d'endormissement présent depuis plusieurs années. L'économiste Hyman Minsky, il y a quelques décennies, avait écrit un livre qui l'a rendu célèbre sur le fait que l'absence de risque, l'absence de volatilité est en soi génératrice de risques parce qu'elle encourage la confiance et donc la prise de risque et l'arrivée d'un accident. Là, on a eu typiquement un phénomène de cette nature. Depuis une dizaine d'années, les marchés n'avaient pas connu de fortes baisses, convaincus que les banques centrales seraient toujours présentes à leur secours, ce qui fait de l'accident du mois de février/mars « un moment Minsky », c'est à dire que cette confiance devenue presque aveugle se retrouve déjouée.
Un autre biais classique, le biais d'endogroupe, est apparu au mois de janvier et février. A cette période, des tas d'observateurs se disaient que cette histoire de virus était un phénomène qui ne nous concernait pas, cela concerne l'Asie, la Chine. C'est un biais qui est assez classique, qu'on voit assez fréquemment d'ailleurs dans les sphères politiques, mais qui naturellement a été déjoué.
L'autre biais consiste à raisonner de manière uniquement « probabiliste » en se disant que tout ce qui est improbable est insignifiant. Or, le monde depuis qu'il est monde évolue en fait à la suite de grands chocs improbables, [mais comme ils sont improbables], ils sont toujours sous-estimés. L'idée qu'un virus puisse être à l'origine de l'arrêt de l'économie de 50% de la planète est quelque chose d'absolument inenvisageable, mais naturellement c'est le propre des cygnes noirs, ils sont très rares mais ils ont un impact considérable.
On note également un autre biais particulièrement visible, présent presque à chaque instant quand j'écoutais les observateurs jour après jour qui s'étonnaient de voir la rapidité de la propagation alors que la propagation épidémique suit toujours cette même trajectoire. Toutes les épidémies fonctionnent de cette manière en suivant une évolution en forme de courbe en cloche (loi normale) et une courbe en cloche ça passe par une phase d'accélération. Une phase d'accélération veut dire que la croissance n'est pas linéaire, la croissance est de plus en plus forte jusqu'à ce qu'elle ralentisse, qu'elle se stabilise et qu'elle redescende. Or, je voyais tous les jours, toutes les semaines non seulement les observateurs, mais les marchés, également les investisseurs, s'étonner voire paniquer devant ce phénomène d'accélération alors que c'est un phénomène connu. Mais la loi géométrique par rapport à une loi arithmétique est quelque chose que l'esprit humain a un peu de mal à appréhender et donc mis devant un phénomène de croissance géométrique, celle de croissance exponentielle, il se met à réagir avec retard et donc à paniquer. Donc là, on a pu observer ces biais psychologiques qui, me semble-t-il, ont joué un rôle dans la réaction des marchés à la crise.

VB : Vous venez de mentionner Didier un certain nombre de biais qui ont été à l'œuvre ces derniers mois, est-ce qu'il ne faut pas inclure dans cette liste l'heuristique de disponibilité, c'est-à-dire le fait que les individus évaluent la probabilité d'un événement en fonction de la facilité avec laquelle ils sont en mesure de se remémorer des situations analogues, ce qui pose problème parce que le propre de ce que l'on appelle un cygne noir, c'est-à-dire un événement hors normes tel qu'une pandémie est d'être rare nature et donc selon l'heuristique de disponibilité, on va écarter la possibilité du pire parce qu'il est rare et se référer plutôt à ce que l'on a connu précédemment c'est-à-dire des crises qui ont été très vite jugulées. J'ai vu, et cela m'a frappé, beaucoup d'investisseurs au tout début de l'épidémie carrément hausser les épaules lorsqu'on évoquait ce qui se passait en Chine parce qu'ils comparaient la situation de la Covid-19 et celle du SRAS, comme s'il allait de soi que l'issue serait la même et cela en dépit du fait que la Chine avait déjà enclenché le confinement de plusieurs dizaines de millions de personnes, ce qui pouvait laisser à penser qu'on était face à une crise peut-être beaucoup plus grave.

DSG : Vous avez tout à fait raison. Il y a difficulté de l'esprit humain à réfléchir sans référent. Du coup, devant des chocs véritablement singuliers, qui ne ressemblent à aucun autre choc préalable, [les individus] ont énormément de mal à raisonner, parce qu'ils ne peuvent pas rattacher leurs estimations à des choses qu'ils ont connus précédemment. C'est un peu le problème aujourd'hui d'ailleurs, de toutes ces réflexions sur ce qui va se passer après, même au niveau sanitaire, c'est-à-dire est-ce que l'on peut considérer que la crise est derrière nous, est-ce que le virus va se calmer avec l'arrivée de l'été, est ce qu'on peut avoir une deuxième vague... c'est un biais psychologique qui a tendance très fréquemment à confondre l'absence de preuves avec la preuve de l'absence, cela revient à se dire puisqu'on n'a pas la preuve de… alors on peut raisonnablement penser que la chose n'existe pas, mais c'est un biais archi-classique et qui risque effectivement de coûter cher parce que nous n'avons absolument aucune connaissance de ce nouveau virus. Devant cette incertitude radicale, pour reprendre l'expression de Keynes, le cerveau humain éprouve des difficultés à se mettre, comme disaient les philosophes, en épochè, c'est-à-dire en absence de jugement et dire simplement "on ne sait pas" et donc la priorité quand on ne sait pas, c'est simplement d'être le moins vulnérable possible. L'esprit humain a tendance et donc les marchés, qui sont une synthèse de deux millions d' esprits humains ont tendance à faire des hypothèses néanmoins, en se disant que, quand même, ce qui est plus probable, c'est ceci ou cela, alors que la seule démarche intellectuellement correcte consiste à admettre que l'on ne sait pas et, par conséquent, qu'il faut absolument privilégier la flexibilité, la capacité à pouvoir survivre à tous les scénarios et non pas se dire je vais parier sur ce scénario parce qu'il me paraît plus plausible, ce qui d'ailleurs en général est alimenté par un autre biais psychologiques qui consiste à avoir beaucoup plus envie de croire à ce qui nous arrange plutôt que croire ce qu'on souhaiterait fut faux et là naturellement les marchés, encore une fois pour parler d'eux en tant microcosme qui rassemble un peu l'opinion publique, ont plutôt envie de croire que finalement tout cela a été brutal mais de courte durée et puis que derrière les choses vont rentrer dans l'ordre assez rapidement. En réalité, on n'en sait rien.

VB : Est-ce que ce que vous évoquez du comportement du marché ne relève pas de ce que l'on appelle le biais de conservatisme, c'est-à-dire la tendance à surévaluer comme vous le disiez l'importance des informations qui vont dans le sens que l'on souhaite et à minimiser les informations qui vont à rebours de ce que l'on pense. Si on se réfère notamment aux dernières déclarations de Jerome Powell, le président de la réserve fédérale, il a dressé un tableau tout de même assez lugubre de la situation outre-Atlantique, il a indiqué que les projections d'un taux de chômage culminant entre 20 et 25% étaient correctes, il a laissé entendre que la reprise ne serait sans doute pas en V puisqu'un retour à la normale n'est pas à envisager avant 2021 et sous réserve qu'on ait un vaccin. Et qu'ont retenu les marchés ? Eh bien, le fait que de nouvelles mesures de soutien soient possibles. Est-ce que l'on n'est pas là typiquement dans le biais de conservatisme entre une réalité factuelle assez déplaisante qu'on ne veut pas prendre en compte et puis l'espoir que les banques centrales peuvent tout et feront tout.

DSG : Oui. On est typiquement dans la confirmation par Jerome Powell que les marchés peuvent continuer de bâtir la même hypothèse qu'ils ont faite à juste raison depuis dix ans, à savoir que les banques centrales ne peuvent pas accepter l'idée d'une récession durable parce que le monde est surendetté et que s'il y a quelque chose qui est inacceptable quand vous êtes surendetté, c'est de rentrer en récession durable et de perdre vos revenus parce que dès lors vous devenez insolvable rapidement. Donc, depuis en gros le début des années 2000 et très largement depuis 2008 2009, les banquiers centraux, J. Powell en est bien sûr l'héritier, ont reconnu que le monde était devenu tellement endetté qu'il fallait absolument remettre à plus tard en permanence une récession. Naturellement pour remettre à plus tard une récession, les banques centrales ont utilisé le seul moyen alors à leur disposition, c'est-à-dire la politique monétaire, d'abord en baissant les taux puis dès lors que les taux étaient à plat en faisant des achats d'actifs financiers pour faire baisser les taux longs et en faisant cela naturellement ils ont facilité encore plus l'endettement. Donc, elles n'ont pas résolu la cause de la fragilité, elles ont simplement repoussé à plus tard en permanence. On est aujourd'hui en 2020 dans une situation où moins que jamais les économies du monde peuvent supporter une récession forte parce qu'elles n'ont jamais été aussi endettées et patatras arrive là-dessus quelque chose d'imprévu, c'est-à-dire non pas un retournement de cycle économique, on a failli y en avoir un en 2018/2019 et les banques centrales sont tout de suite venus à la rescousse. Mais là, [en 2020] elles étaient impuissantes face à la survenance d'une pandémie. Pendant un mois tout le monde s'est dit qu'on se retrouvait face au scénario que les banques centrales repoussaient depuis dix ans voire davantage. A cause ce choc externe, le scénario de forte récession avec risque d'insolvabilité se produisait. Donc, les craintes furent terribles pendant un mois, mais depuis J. Powell et ses collègues en Europe  et au Japon en particulier sont revenus en disant : « ne vous inquiétez pas, notre raisonnement est toujours le même, il faut absolument éviter une récession durable alors sur trois mois on n'y pourra rien, mais au-delà, il faut absolument l'éviter donc on fera tout ce qu'il faudra », et J. Powell disait l'autre jour : « ne vous inquiétez pas on a encore beaucoup de flèches à notre arc et on peut en faire beaucoup plus » donc c'est moins un biais psychologique là qu'une espèce d'impasse dans laquelle se sont mises des banques centrales et dans laquelle s'est mise la FED très spécifiquement, ou, en effet, on a la garantie, parce que c'est leur mode opératoire depuis le début, qu'elles protégeront les marchés, parce que c'est la meilleure chose qu'elles peuvent faire pour éviter une récession durable et tant que c'est crédible les marchés naturellement ne vont pas jouer contre les banques centrales.

VB : Est-ce que l'on peut résumer la chose en disant tout simplement que les biais comportementaux, comme toute autre considération du reste, s'effacent devant l'action d'une banque centrale et que se confirme le principe selon lequel il ne faut jamais se mettre en face d'une banque centrale ?

DSG : Oui, ce qui est un nouveau biais. Les banques centrales sont-elles mêmes à l'origine de ce biais tout à fait créatif qu'on n'aurait pas imaginé il y a 50 ans, qui consiste à dire que toute mauvaise nouvelle économique est le signe annonciateur d'un soutien monétaire qui revalorisera les actifs financiers. C'est assez terrible parce que c'est une fuite en avant et en réalité  une bulle mais qui est alimentée par les banquiers centraux et les marchés ont appris à ne pas se mettre en travers de cette logique assez folle, mais qui est menée par des banquiers centraux qui en général ne sont pas accusés de folie. Donc, personne ne peut aller contre, simplement ça se terminera non pas quand les banquiers centraux diront « on arrête ce paradoxe délibérément », mais quand cela ne fonctionnera plus et que les banques centrales ne parviendront plus par leur action à remettre à plus tard la récession. Autrement dit, si on est en récession forte l'année prochaine, cela signifiera que les banques centrales ont finalement échoué à remettre à plus tard la récession et on aura une récession forte sur une économie surendettée ce qui induit un risque de forte instabilité pour les marchés.

VB : Vous évoquiez un peu plus tôt, Didier, durant notre entretien, la structure mentale probabiliste que nous avons et qui nous incite à juger du caractère plausible d'un événement en fonction des autres événements que nous avons déjà pu observer, donc établir des probabilités en écartant tous les scénarios extrêmes. Est-ce que vous pensez qu'avec ce que nous venons de vivre les agents économiques qu'ils soient investisseurs consommateurs ou entreprises intégreront désormais dans leur comportement davantage la possibilité de risques extrêmes ?

DSG : C'est une excellente question. Je ne sais pas s'ils le feront. Ce qu'ils devront faire en tout cas, c'est un choix entre l'optimisation, l'efficacité, la performance et la robustesse, c'est-à-dire se prémunir contre les risques extrêmes qui sont très improbables. Cette protection n'est pas gratuite, c'est par exemple faire énormément de stocks de masques pour un Etat alors que peut-être une pandémie n'arrivera pas avant quinze ans, cela engendre un véritable coût qui fait que cette opération n'est pas du tout optimale. Les investisseurs doivent également choisir entre la performance maximum et la gestion de risques extrêmes. Il faut bien avoir en tête que la quête de l'optimisation de ses investissements rend fragile, que vous preniez une formule 1 ou un athlète de haut niveau, le prix qu'ils payent pour être extrêmement performants, c'est d'être fragiles, d'être susceptibles d'incidents, de blessures fréquemment. C'est exactement la même chose pour les investisseurs : soit vous voulez obtenir la performance maximum ce qui vous rend faillible car le jour où survient l'improbable, la situation devient très compliquée à l'exemple notamment de Hedge Funds anglo-saxons qui ont coulé depuis le début de l'année et ne rebondissent pas malgré le rebond des marchés en raison d'une véritable destruction, cassure de leurs modèles parce qu'ils étaient parfaitement optimisés pour les circonstances de marché des dix dernières années, mais ils n'étaient pas prêts à gérer l'imprévu et donc à ce moment-là, non seulement ils subissent l'imprévu mais ils se détruisent et donc ne peuvent pas rebondir derrière. Donc, je ne sais pas ce que vont faire les investisseurs, mais, en tout cas, ils vont devoir choisir entre la performance maximum et la robustesse afin de ne pas sombrer en cas d'imprévu.

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