(AOF / Funds) - Profitant de la réouverture du marché obligataire, les grandes entreprises ont multiplié les émissions depuis le début de l'année. A terme, elles risquent toutefois de se heurter à la concurrence des Etats, dont les déficits vont continuer de nécessiter des appels massifs au marché. Pour les marchés obligataires, les émissions des Etats auront constitué une manne ininterrompue depuis le début de la crise : les emprunts nets de la France ont atteint 204 milliards d'euros et ceux du Royaume-Uni un montant de 217 milliards de livres depuis janvier 2008, tandis que les Etats-Unis ont levé plus de 2000 milliards de dollars sur les marchés depuis un an ! Des montants colossaux directement liés à des déficits et des dettes publiques qui ne le sont pas moins. En 2010, le déficit public atteindra 8,2 % du PIB en France, 6 % en Allemagne, 13 % en Grande-Bretagne et 9,8 % aux Etats-Unis, tandis que la dette publique pourrait respectivement atteindre 84 %, 81 %, 83 % et 63 % du PIB dans ces pays, selon de récentes prévisions de Natixis. Cette situation n'est pas inquiétante seulement d'un point de vue macroéconomique : la soif d'emprunts des Etats est telle qu'elle pourrait porter préjudice aux entreprises. Celles-ci risquent en effet d'avoir du mal à satisfaire leurs besoins de financement sur les marchés, alors même qu'il leur est déjà très difficile de trouver des crédits. "En 2013, aucun grand pays de l'OCDE n'aura une dette inférieure à 100 % du PIB, soulignait dans Option Finance (n°1039/1040) Patrick Artus, directeur de la recherche et des études de Natixis. Cela ne devrait toutefois pas empêcher les déficits publics de continuer à se financer. L'inconvénient, c'est que cela entraîne un phénomène d'éviction : au Japon, toute l'épargne du pays a été absorbée par la dette publique, et les entreprises n'ont plus eu accès aux financements externes". La question peut néanmoins surprendre car actuellement les conditions de marché sont plutôt favorables aux entreprises. Avec plus de 250 milliards d'euros depuis le début de l'année, les volumes d'émissions corporate en euros ont déjà atteint un niveau record en 2009, tandis que les spreads ont été divisés par deux sur le segment investment grade sur cette même période, sans être toutefois revenus aux niveaux antérieurs à la crise. "Face à l'assèchement du crédit bancaire, les grandes entreprises bénéficient actuellement de conditions exceptionnelles sur le marché obligataire, souligne Jean-Michel Six, chef-économiste pour l'Europe chez Standard & Poor's. Depuis le début de l'année, leurs besoins de financement rencontrent une grande liquidité sur le marché, grâce notamment au retour de l'appétit des investisseurs à l'égard du crédit corporate, qui offre une rémunération nettement supérieure aux titres d'Etat et plus importante que leur risque sous-jacent." Cette configuration de marché a même permis récemment en France à des sociétés non notées, comme Christian Dior ou Lagardère, de lancer des émissions inaugurales. A court terme, cette bonne orientation du marché obligataire vis-à-vis des corporates ne devrait pas se dégrader, la demande de titres restant supérieure à l'offre. Si les grandes entreprises ont profité de l'embellie, la dette privée dans son ensemble a en effet tendance à diminuer fortement depuis le début de la crise. Dans ce contexte, la hausse de l'endettement public ne fait que compenser le désendettement privé. "En fait, l'Etat se substitue aux investisseurs privés pour tenter de relancer l'économie, confirme Eric Bourguignon, directeur de la gestion de taux et crédit de Swiss Life Asset Management. Du coup, c'est un jeu à somme nulle car au global les besoins de financement de l'économie n'ont pas augmenté pour le moment". Par ailleurs, du côté de la demande, l'épargne a augmenté grâce aux injections massives de liquidité réalisées par les banques centrales. Certes ces injections profitent avant tout aux obligations souveraines. Les banques ont en effet absorbé une grande partie des titres publics pour ensuite les porter en pension auprès de la BCE et se refinancer auprès d'elle, la crise ayant conduit la banque centrale à assouplir ses critères de prises en pension. Le volume de titres publics détenus par les banques a ainsi augmenté de près de 380 milliards d'euros entre octobre 2008 et août 2009, passant de 1 430 milliards d'euros à 1 809 milliards d'euros. Néanmoins, la demande de papier reste largement suffisante pour satisfaire les entreprises, d'autant que le marché du crédit corporate offre des rémunérations bien plus attrayantes que les emprunts d'Etat, avec des spreads supérieurs de 2 % en moyenne à la courbe gouvernementale.
A moyen terme, toutefois, la situation pourrait se révéler moins favorable pour les émetteurs. "Avec la normalisation de l'économie et le redémarrage de l'investissement des ménages et des entreprises, ces dernières pourraient avoir plus de difficultés à accéder au marché car il existe un vrai risque de ponction massive de l'épargne par la dette souveraine à partir de 2010", explique Gilles Moëc, économiste chez Deutsche Bank. En effet, les besoins de financement des entreprises seront de nouveau amenés à augmenter avec la reprise de leurs investissements. Tandis qu'en parallèle la dette publique, loin de s'être résorbée, se sera amplifiée davantage. En se fondant sur des hypothèses optimistes, le scénario de Deutsche Bank prévoit un déficit public minimum compris entre 5 et 6 % dans la zone euro en 2012 et une dette représentant 92 % du PIB en 2014, contre 69,3 % en 2008. "Dans ce contexte, comme l'épargne locale ne devrait plus suffire à financer le déficit public et les besoins de financement des entreprises, il faudra faire appel à l'épargne internationale, seule variable d'ajustement possible, estime Gilles Moëc. Étant donné que la concurrence sera accrue, il sera nécessaire de maintenir un différentiel de taux attractif pour séduire les investisseurs étrangers. Ce scénario viendrait alors contrecarrer le mouvement de diversification des sources de financement des entreprises observé depuis le début de l'année, et, en particulier, créer une discrimination à l'égard des entreprises de moindre envergure internationale". Les entreprises vont donc devoir offrir des rendements attractifs pour faire la différence auprès des investisseurs. Le problème, c'est que leur coût de financement est aussi tributaire de l'évolution des taux. Or la hausse des taux, qui interviendra lorsque la sortie de crise se profilera, pourrait également être accentuée par la dépréciation du dollar. "Les tensions que nous anticipons sur les taux pourraient être déclenchées sur le marché américain, car la baisse continue du dollar devrait inciter les pays émergents, principaux créanciers des Etats-Unis, à réclamer une rémunération plus importante pour les titres américains, souligne Jean-Michel Six. Un scénario d'autant plus probable que les volumes d'émission prévus par le Trésor américain sont considérables et que nous ne voyons aucun facteur susceptible de renverser de manière durable la tendance baissière du dollar". Pour le moment, le Bund à 10 ans, le taux long de référence dans la zone euro, continue à baisser, évoluant récemment autour de 3,10 à 3,20 %, soit un niveau historiquement très bas. Mais tous les économistes prévoient une remontée de ce taux. "Au-delà de 4,50 %, on peut estimer que le taux allemand à 10 ans atteint un seuil prohibitif pour les entreprises, susceptible de les inciter à se retirer du marché, poursuit Jean-Michel Six. Or on pourrait s'approcher de ce taux fin 2010."
Tous les économistes ne partagent pas toutefois ces inquiétudes, du moins pour 2010. "Les entreprises ont déjà largement refinancé leurs dettes pour l'année prochaine, explique Jérôme Broustra, responsable adjoint de la gestion obligataire euro chez Axa IM. Le faible niveau de la croissance économique ne nécessitera pas d'investissements significatifs de leur part, dans un contexte de sous-utilisation des capacités de production." Même constat à la Société Générale. "Nous anticipons beaucoup d'émissions corporate jusqu'au premier trimestre 2010, avec une amélioration du crédit des entreprises, et par conséquent un resserrement des spreads, mais les opérations devraient ralentir par la suite, souligne Guy Stear, responsable adjoint de la recherche crédit de la banque. Il est difficile d'imaginer en 2010 un rythme similaire à celui observé cette année, durant laquelle le volume d'émissions des corporates devrait approcher 300 milliards d'euros, soit un niveau trois fois supérieur à la normale. Ce chiffre pourrait être divisé par deux en 2010". Dans ce contexte, les investisseurs auront largement les moyens de continuer de souscrire aux émissions corporate. D'autant que le volume émis n'est pas nécessairement le critère le plus pertinent pour évaluer la capacité d'absorption du marché. "Le marché obligataire échappe à la règle selon laquelle, plus l'offre de papiers est élevée, plus les spreads augmentent, souligne Guy Stear. C'est en effet le contraire qui se produit. Lorsqu'une société parvient à émettre, la qualité de son crédit et du même coup ses conditions de financement s'améliorent. L'année 2009 en est une parfaite illustration. Plus que les montants, c'est avant tout la qualité du crédit des entreprises qui détermine l'accès au marché des corporates". Il y aurait donc de la place pour les Etats comme pour les entreprises sur les marchés, mais à condition d'en payer le prix. "Si les taux augmentent, les corporates seront pénalisés par des coûts de refinancement plus élevés, mais cela n'arrivera pas avant le second semestre 2010, souligne Jérôme Broustra. La hausse des taux devrait raviver l'appétit des investisseurs pour les emprunteurs souverains et conduire à une plus grande sélectivité dans les signatures corporate, à travers une recherche accrue de valeur et une étude plus détaillée du business plan des entreprises. Néanmoins le crédit corporate continuera à attirer les investisseurs en offrant un rendement toujours supérieur aux souverains. Il pourrait en outre bénéficier d'un repli des investisseurs du marché actions, dont le rebond paraît trop rapide pour que le mouvement de consolidation se poursuive sur le long terme". Finalement, le vrai effet d'éviction à craindre pourrait s'opérer entre les entreprises elles-mêmes. Les investisseurs pourraient en effet être tentés de privilégier le papier émis par les grandes entreprises les plus connues à l'international, bénéficiant en outre des meilleures notations. Angèle Pellicier
Spread de crédit : Le "spread" de crédit désigne la prime de risque, où l'écart entre les rendements des obligations d'entreprises et les emprunts d'États de mêmes caractéristiques. Historiquement, le "spread" augmente lors d'un ralentissement économique et se réduit en période de croissance. Néanmoins, il se peut que la perception du risque de défaut soit exagérée et que le "spread" intègre des prévisions de défaillances d'entreprises excessivement pessimistes. Investment/ Speculative Grade : Les notes des agences de notation de crédit s'articulent autour de deux catégories. La catégorie dite d'investissement ("investment grade" en anglais) correspond à une signature de qualité, synonyme d'un accès aux capitaux plus facile pour l'entreprise concernée. La catégorie spéculative à l'inverse ("speculative grade") désigne les obligations émises par les entreprises considérées comme les plus spéculatives (risques d'accident de paiement séri
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